Un salarié peut-il être sanctionné pour des faits relevant de sa vie privée?
En matière de droit du travail il appartient aux juges d’assurer la conciliation entre activité professionnelle et le respect des libertés fondamentales des salariés. La notion de vie personnelle et de droit au respect de la vie privée a donc très rapidement posée question. Un employeur peut-il sanctionner un salarié pour des faits relevant de sa vie privée ? A quelles sanctions s’expose l’employeur en cas de licenciement abusif ? Nous reprenons avec vous les grands principes dans ce domaine.
Le droit au respect de la vie privée du salarié
L’article 9 du code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Le droit au respect de la vie privée est un droit constitutionnel.
Ainsi, en principe, l’employeur ne peut sanctionner un salarié pour des faits qu’il a commis en dehors de l’entreprise dans le cadre de sa vie privée.
La Cour de cassation a, toutefois, nuancée ce principe en y apportant des tempéraments.
Le manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail
Les faits commis en dehors du temps et du lieu de travail peuvent justifier une sanction disciplinaire du salarié en cas de manquement de ce dernier à une obligation découlant du contrat de travail.
Le salarié a certaines obligations découlant de son contrat de travail. Parmi celles-ci figure l’obligation de loyauté du salarié envers son employeur. Cette obligation perdure en cas de suspension du contrat de travail du salarié (en cas de maladie par exemple).
En vertu de cette obligation le salarié ne peut se livrer à des actes de dénigrement ou de concurrence à l’égard de son employeur.
En cas de manquement à cette obligation dans le cadre de sa vie privée le salarié peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire.
Ainsi, par exemple, le licenciement pour faute grave d’un steward ayant dérobé le portefeuille d’un client d’un hôtel dans lequel il séjournait (en dehors de son temps de travail) a été considéré comme justifié par la Cour de cassation. Cette décision est justifiée en partie par le fait que l’hôtel était un partenaire commercial de l’employeur.
En cas de manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail le salarié s’expose à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.
Les faits causant un trouble caractérisé dans l’entreprise
La Cour de cassation estime, depuis de nombreuses années, qu’il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie personnelle du salarié que si son comportement a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise.
Pour apprécier le manquement du salarié les juges doivent tenir compte des fonctions du salarié et de la finalité propre de l’entreprise.
Ainsi, dans ce cas de figure, il faudra regarder les conséquences qu’ont pu avoir les faits commis par le salarié dans le cadre de sa vie personnelle.
Dans un arrêt du 13 avril 2023 la Cour de cassation a estimé que la condamnation pénale d’un salarié pouvait créer un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise.
Dans cette affaire un salarié incarcéré pendant plusieurs années souhaitait reprendre son emploi. Suite à cette annonce les autres salariés se sont mis en grève afin de s’opposer à sa reprise du travail dans l’entreprise.
La Cour de cassation a considéré que le retour du salarié dans ses fonctions n’était pas possible du fait du trouble objectif causé au bon fonctionnement de l’entreprise.
Il est toutefois important de souligner qu’un licenciement justifié par un trouble caractérisé au fonctionnement de l’entreprise ne pourra pas être un licenciement disciplinaire.
C’est-à-dire que contrairement au licenciement pour un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail, le salarié ne pourra pas être licencié pour faute.
Les sanctions en cas de licenciement injustifié tiré des faits relevant de la vie privée du salarié
Dans deux arrêt du 25 septembre 2024 la Cour de cassation a précisé les règles en cas de sanction d’un licenciement pour des faits relevant de la vie privée des salariés.
La première affaire porte sur un employeur qui licencie un salarié pour détention et consommation de produits stupéfiants en dehors de son temps de travail
Dans la seconde affaire, un salarié est licencié suite à l’envoi de mails à des interlocuteurs externes à l’entreprise contenant des propos dégradants envers les femmes et vulgaires. Le salarié avait utilisé son ordinateur professionnel.
Dans les deux décisions la Cour de cassation donne raison aux salariés et considère le licenciement comme abusif. La Cour de cassation devait se prononcer sur la sanction du licenciement abusif.
La Cour de cassation a considéré dans la première affaire que les faits reprochés ne relevaient pas de « l’intimité » de la privée du salarié et donc que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Dans la seconde affaire les juges du fond ont considéré que les messages personnels relevaient de l’intimité de la vie privée du salarié et donc que le licenciement était nul.
Pour rappel en cas de licenciement nul le salarié a le droit de réclamer la réintégration dans son emploi précédent. Ce qu’il ne peut pas réclamer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour plus d’information sur les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse voir notre article sur ce sujet.
Dans le cadre de ses prérogatives le CSE peut aider les salariés à concilier vie professionnelle et vie personnelle en leurs prodiguant des conseils afin de préserver un équilibre travail-vie privée. Pouvoir renseigner les salariés sur les conséquences que pourraient avoir les actions de leur vie privée peut aussi apparaitre comme primordial. En cas de besoin n’hésitez pas à nous contacter.
Thomas Chevillotte, Juriste/Consultant expert CSE