Exclusion de l’expertise votée par le CSE d’établissement en cas d’accord réservant les consultations récurrentes au CSE central
La Chambre sociale a récemment tiré les conséquences d’un accord collectif d’entreprise aménageant les attributions d’un CSE central (CSEC) et CSE d’établissement (CSEE) 1. Selon elle, si l’on a réservé, par voie d’accord, les consultations récurrentes au CSEC, il convient d’exclure l’expertise votée par le CSEE.
- Pour tout savoir de l’institution ainsi que de la répartition des compétences de principe entre les CSEC et CSEE, nous vous invitons à consulter notre article intitulé « De nouvelles précisions à propos du CSE central d’entreprise ».
Validité de l’accord réservant les consultations récurrentes au seul CSEC
Les consultations récurrentes 2 portent, pour rappel, sur :
- Les orientations stratégiques de l’entreprise (OS);
- La situation économique et financière de l’entreprise (SEF);
- La politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (PSCTE).
A défaut d’accord :
- Le CSEC exerce les attributions intéressant la marche générale de l’entreprise et dépassant les pouvoirs du chef d’établissement ;
- Le CSEE a les mêmes attributions que le CSEC dans les limites des pouvoirs confiés au chef de l’établissement 3. Ainsi le consulte-t-on sur les mesures d’adaptation des décisions prises au niveau de l’entreprise. Il s’agit des mesures spécifiques à l’établissement, relevant donc de la compétence du chef d’établissement.
- Sauf décision contraire de l’employeur, les consultations relatives aux OS et à la SEF sont réservées au CSEC. Les consultations relatives à la PSCTE, dès lors qu’elles prévoient des mesures d’adaptation au niveau de l’établissement, sont conduites aussi auprès du CSEE 4.
Cependant, un accord d’entreprise peut définir les niveaux de consultation et leur articulation 5.
Ainsi peut-on décider de la répartition des matières entre les instances centrales et d’établissement.
Cela peut parfaitement mener au monopole du CSEC en matière de consultations récurrentes 6. Il s’agit donc de réserver l’information et la consultation sur ces sujets au CSEC.
Autrement dit, un accord peut tout-à-fait évincer le CSEE d’une procédure d’information-consultation pour laquelle il serait compétent à défaut d’accord.
En l’occurrence, un accord collectif du 28 novembre 2018 sur le fonctionnement des CSE et la représentation du personnel au sein de la société Kuehne+Nagel comportait une telle disposition. En effet, l’accord prévoyait :
- Le CSEC a le monopole de consultation sur les projets et consultations récurrentes décidés au niveau de l’entreprise lorsque leurs éventuelles mesures de mise en œuvre qui feront ultérieurement l’objet d’une consultation spécifique au niveau approprié ne sont pas encore définies ;
- Le CSEE a les mêmes attributions que le CSEC dans la limite des pouvoirs confiés au chef d’établissement (qui peut prendre l’initiative d’une consultation sur la PSCTE de l’établissement si aucun accord ne déroge à cette possibilité, par exemple);
- Cependant, les consultations portant sur la PSCTE, les OS, la SEF de l’entreprise relèvent exclusivement de la compétence du CSEC.
Le CSEC avait le monopole sur les consultations récurrentes.
Conséquences de l’éviction du CSEE en matière de consultations récurrentes
Un CSE consulté à propos de la SEF, des OS ou de la PSCTE, peut faire appel à un expert-comptable ou expert habilité 7.
Dans les faits, le CSEC était, conformément à l’accord en vigueur dans l’entreprise, consulté par le chef d’entreprise sur la PSCTE.
Le CSEE avait alors décidé du recours à une expertise sur la PSCTE de l’établissement. Il estimait qu’il avait les mêmes attributions que le CSEC dans la limite des pouvoirs confiés au chef de l’établissement.
La société demande l’annulation de la délibération décidant le recours et désignant l’expert.
Le président du tribunal judiciaire refuse l’annulation : le CSEE a, selon lui, fait une simple application de l’article L.2316-20 du Code du travail.
La Chambre sociale prend le contre-pied de la décision du premier juge. Selon elle :
- D’une part, il convient d’appliquer l’accord collectif conclu et de ne consulter que le CSEC ;
- D’autre part, un CSE ne peut décider du recours à l’expertise que dans le cas où il est effectivement consulté et compétent. En l’occurrence, le CSEC était compétent et consulté. Le CSEE n’était ni compétent, ni consulté.
- Enfin, et en conclusion, la délibération du CSEE doit être annulée pour violation de l’accord collectif visé.
Pour autant, on peut relever que l’accord en question ne traitait pas la question du recours à l’expertise. La Cour de cassation reconnaît donc que la consultation est une condition de validité de la délibération décidant du recours à l’expertise.
Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE
- Chambre sociale, Cour de cassation, 9 mars 2022 ;
- Liste des consultations récurrentes du CSE : article L.2312-17 du Code du travail ;
- Attributions du CSEE : article L.2316-20 du Code du travail ;
- Répartition des consultations récurrentes entre CSEC et CSEE : article L.2312-22 du Code du travail in fine ;
- Accord aménageant les niveaux de consultations et leur articulation : article L.2312-19 3° du Code du travail ;
- Chambre sociale, Cour de cassation, 2 mars 2022 ;
- Expertise dans le cadre des consultations récurrentes : articles L.2315-87 et suivants du Code du travail ;