Quand la vigilance devient un devoir international, les IRP sont particulièrement concernées

En réaction à l’effondrement du Rana Plaza (à Savar, au Bangladesh, en 2013), lieu de nombreux ateliers de confection sous-traitants de grande marques internationales dont notamment la vigilance était justement lourdement critiquée, l’actuel gouvernement français s’était engagé début 2015 à faire adopter une loi qui instaurerait la responsabilité de telles multinationales pour des dommages causés par leurs sous-traitants à l’étranger. 

 

Concrétisée par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 sur « le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », la mesure puise ses sources dans des textes internationaux émanant de l’ONU, de l’OCDE ou encore de l’OIT et donne à la RSE, décriée par certains comme simplement cosmétique ou incernable, une épaisseur nouvelle.

 

 

 

L’objectif ? 

Eviter l’impunité d’opérateurs internationaux ressentie par certains alors qu’apparaissent des atteintes graves aux droits humains (notamment lié au recours au travail d’enfants) et à l’environnement en renforçant le lien juridique entre donneur d’ordre et exécutant.

Le moyen ?

Imposer aux entreprises, particulièrement les transnationales d’une certaine taille, donneuses d’ordre d’établir un plan dit « de vigilance ».

La sanction ?

En cas de dommage, l’entreprise donneuse d’ordre, n’ayant pas respecté son obligation de vigilance, engage sa responsabilité et peut être tenue de réparer le préjudice subit par les éventuelles victimes que l’exécution de cette obligation aurait permis d’éviter.

En revanche, aucune amende automatique ne peut être infligée aux entreprises défaillantes à l’obligation d’établir un tel plan, le Conseil Constitutionnel ayant censuré le volet amende de la loi en raison d’une définition de l’obligation donnée en des termes insuffisamment clairs et précis pour qu’une telle sanction soit possible (DC n°2017-750 du 23 mars 2017).

Sans attendre, intéressons nous en détail au dispositif.

 

LA DATE D’ENTREE EN VIGUEUR

L’ensemble des dispositions de la loi s’impose à compter du rapport présenté par le conseil d’administration ou par le directoire à l’assemblée générale portant sur le premier exercice ouvert après le 28 mars 2017, date de publication de la loi.

En revanche, un pan de vigilance doit être établi pour l’exercice au cours duquel la présente loi est publiée.

Ainsi pour une entreprise clôturant au 30 juin, la pleine obligation de vigilance ne jouera que pour l’exercice ouvert à compter 1er juillet 2017 .

Celle-ci doit néanmoins dès à présent procéder à l’élaboration de son plan de vigilance.

 

 

LES ENTREPRISES CONCERNEES

Les sociétés françaises employant, à la clôture de 2 exercices consécutifs,

  • au moins 5 000 salariés en France ;
  • ou au moins 10 000 salariés dans le monde,

en incluant leurs filiales directes comme indirectes.

Les filiales ou sociétés ainsi contrôlées dépassant ces seuils sont alors réputés satisfaire à leur obligation de vigilance si la société qui les contrôle a établi un plan de vigilance relatif à son activité et à celle exercée par l’ensemble des filiales et sociétés contrôlées (art. L.225-102-4 nouveau du Code de commerce).

 

LE CONTENU DU PLAN DE VIGILANCE

Le plan doit comporter des « mesures de vigilance raisonnables propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités » des filiales et sociétés décrites ci-dessus mais également des sous-traitants et fournisseurs, dès lors qu’ils entretiennent avec la donneuse d’ordre une « relation commerciale établie » et que leurs activités sont « rattachées à cette relation » (article précité).

 

                Ce plan doit être élaboré en association avec les « parties prenantes* » et doit comprendre :

  • Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
  • Des procédures d’évaluation régulière de la situation de ces filiales, sous-traitants et fournisseurs, au regard de cette cartographie ;
  • Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
  • Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
  • Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.

 

(*) Important :

Le plan comme le compte rendu de sa mise en œuvre effective doivent être rendus publics et insérés dans le rapport de gestion.

La notion de « parties prenantes » n’est pas définie par la loi. Celles-ci sont, en revanche, décrites par l’article 4 de la loi n°2012-1559 instituant la Banque Publique d’Investissement, « comme l’ensemble de ceux qui participent à sa vie économique et des acteurs de la société civiles ou indirectement, par les activités de la banque ». Dès lors, par analogie, peuvent être entendus comme tels les actionnaires, les fournisseurs, les salariés, les représentants du personnel de l’entreprise chargée de l’élaboration du plan.

Un décret pourra compléter cette liste, préciser les modalités d’élaboration  et de mise en œuvre du plan de vigilance.

 

LES SANCTIONS

En cas de méconnaissance de son obligation de mise en place du plan, l’inertie de l’entreprise peut donner lieu à une mise en demeure de celle-ci.

Si dans les 3 mois suivant cette mise en demeure, rien n’est fait, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir (notamment l’une des « parties prenantes ») peut enjoindre l’entreprise, le cas échéant sous astreinte, d’établir le plan de vigilance.

Le président du tribunal, statuant en référé, peut également être saisi aux mêmes fins.

 

Tout manquement à l’obligation engage la responsabilité de l’auteur et l’oblige, en cas de dommage causant un préjudice, à le réparer lorsque l’exécution de l’obligation de vigilance aurait permis de l’éviter.

La juridiction qui serait alors saisie pour exécuter ce principe peut, par ailleurs, ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci.

Elle peut également ordonner l’exécution de cette décision sous astreinte, gonflant éventuellement les sommes dues.

 

Frédéric Rougon, Juriste

 

Sources :