Réorganisation de l’entreprise et procédure de licenciement économique collectif

Une réorganisation de l’entreprise peut précéder un licenciement pour motif économique. L’employeur peut proposer aux salariés une modification de leurs contrats de travail pour motif économique. En cas de refus, l’employeur pourra procéder au licenciement des salariés en question. Un arrêt récent1 nous permet de revenir sur les règles encadrant ce processus.

 

 

La modification du contrat de travail pour motif économique

A titre liminaire, rappelons la différence entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail.

 

Modification du contrat de travail Changement des conditions de travail

Elle doit faire l’objet d’un accord entre le salarié et l’employeur, prenant alors la forme d’un avenant au contrat de travail.

Dès lors qu’un changement a des incidences sur la rémunération, les attributions, le volume horaire, le lieu de travail en dehors d’un même secteur géographique, il convient d’obtenir l’accord du salarié.

Cet accord tient au fait que ces éléments aient été contractualisés, et qu’ils ont un impact sur la vie privée du salarié.

Il peut être imposé par l’employeur au salarié en vertu de son pouvoir de direction.

Le refus par le salarié s’analyse en une faute et peut justifier un licenciement pour faute. A titre d’exemple, la modification de la répartition du temps de travail sans en modifier la durée, sauf à avoir une incidence sur la vie privée du salarié (travail de nuit, par exemple), s’analyse en un simple changement des conditions de travail.

 

L’employeur peut proposer des modifications du contrat de travail pour motif économique au lieu de passer directement par la voie du licenciement économique 2.

A titre de rappel, les différents motifs économiques invocables sont limitativement énumérés à l’article L.1233-3 du Code du travail 3.

Dès lors qu’il envisage de telles modifications, il doit consulter le CSE sur le fondement des articles L.2323-1 et L.2312-37 du Code du travail. En effet, c’est une mesure portant sur l’organisation de l’entreprise car restructurant les effectifs. C’est donc un cas de consultation ponctuelle du CSE.

Cette proposition doit faire l’objet d’une lettre recommandée avec avis de réception, informant le salarié. Ce dernier a 1 mois pour répondre, faute de quoi son silence vaudra acceptation de la modification.

 

Application du droit du licenciement économique collectif en cas de refus des modifications

Si les salariés visés refusent les modifications, l’employeur peut les licencier. La cause réelle et sérieuse du licenciement ne réside pas dans le refus : c’est le motif économique qui le permet.

Dans le cas où au moins 10 salariés refusent sur une même période de 30 jours, les règles du licenciement économique collectif s’appliquent 4. L’employeur doit alors élaborer un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) 5.

Rappelons que le PSE peut être établi par négociation avec les OS représentatives, ou unilatéralement par l’employeur 6. Dans tous les cas, il devra obtenir validation/homologation de la DREETS.

C’est précisément sur ce point que l’arrêt du 23 mars 2022 est intéressant.

Dans les faits, un regroupement, donc un transfert de l’activité entre plusieurs agences est envisagé.

L’employeur consulte le CSE sur ce point et soumet à l’accord de plusieurs salariés des modifications de leurs contrats de travail. Vingt salariés les refusent. L’employeur décide alors d’engager une procédure de licenciement économique collectif. Il décide d’une dispense d’activité pour ces derniers à compter du transfert et pendant la procédure, avec maintien de la rémunération.

Il consulte le CSE sur le projet de licenciement économique, élabore un PSE unilatéral et le soumet à l’homologation de la DREETS.

L’un des salariés demande la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur. Il invoque le fait que l’employeur ne pouvait pas, avant l’homologation du PSE, mettre en œuvre des mesures de réorganisation (la dispense d’activité en l’occurrence).

Le salarié ayant refusé toutes les mesures de reclassement du PSE, l’employeur le licencie après homologation puis mise en œuvre du PSE.

 

Possible mise en œuvre des mesures de réorganisation avant l’homologation du PSE par la DREETS

Le droit du licenciement économique collectif exige l’homologation et la mise en œuvre du PSE avant de procéder aux licenciements. Cela ne signifie pas que l’employeur ne peut mettre en œuvre aucune mesure de réorganisation avant celle-ci.

En effet, la Cour de cassation n’adhère pas au raisonnement du salarié. Selon elle, l’employeur peut mettre en œuvre des mesures de réorganisation en attendant l’homologation du PSE par la DREETS. Il suffit, pour ce faire, qu’il ait bel et bien consulté le CSE à propos de ces mesures.

Elle distingue réorganisation simple de l’entreprise pour motif économique et mise en œuvre d’une procédure de licenciement économique. L’employeur a décidé d’une dispense d’activité avec maintien de la rémunération dans le cadre de sa réorganisation. Il ne s’agit pas, selon elle, d’une mesure faisant partie du PSE.

 

Ainsi, dans une telle configuration, l’employeur devra consulter le CSE à deux titres :

  • d’abord sur les mesures de réorganisation de l’entreprise ayant pour effet la restructuration des effectifs 7. Il peut alors avoir connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise. Il peut alors exercer son droit d’alerte économique 8
  • ensuite sur le projet de licenciement économique collectif et le contenu du PSE 9.

Dans ces cadres, le CSE peut faire appel à un expert 10:

  • sur les mesures de réorganisation tenant au transfert d’activité, pour projet important impliquant une modification des conditions de travail. Le financement de l’expertise sera partagé entre le CSE (20%) et l’employeur (80%) ;
  • sur le projet de licenciement économique et le contenu du PSE. L’expertise sera entièrement prise en charge par l’employeur.

 

Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE

 

  1. Chambre sociale, Cour de cassation, 23 mars 2022
  2. Possibilité offerte par l’article L.1222-6 du Code du travail
  3. Liste des motifs économiques : article L.1233-3 du Code du travail
  4. Article L.1233-25 du Code du travail
  5. Sur l’obligation d’élaborer un PSE : article L.1233-61 du Code du travail
  6. Règle posée par l’article L.1233-24-4
  7. Précision de la formule de l’article L.2312-8 du Code du travail par l’article L.2312-37 du même code
  8. Article L.1233-8 du Code du travail
  9. Articles L.2312-63 et suivants du Code du travail
  10. Recours à l’expertise pour projet important modifiant les conditions de travail article L.2315-94 du Code du travail ; pour licenciement économique et PSE articles L.1233-34 et suivants du Code du travail.