Négociations annuelles obligatoires : le CSE peut avoir recours à une expertise

La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 avril 2021 1, précise le contexte de la désignation d’un expert par le CSE afin de venir en aide aux organisations syndicales dans le cadre des négociations annuelles obligatoires.

Missions des représentants élus et désignés des salariés

 

Les CSE des entreprises comptant plus de 50 salariés sont informés et consultés à plusieurs titres 2.

D’une part, il est consulté ponctuellement à propos, selon l’article L.2312-37 du Code du travail de tout.e.s :

« 1° Mise en œuvre des moyens de contrôle de l’activité des salariés ;

2° Restructuration et compression des effectifs ;

3° Licenciement collectif pour motif économique ;

3° bis Opération de concentration ;

4° Offre publique d’acquisition ;

5° Procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires. »

Dès lors qu’une opération touchera à l’un de ces sujets, l’employeur devra consulter le CSE.

D’autre part, il est consulté, de manière récurrente, c’est-à-dire chaque année à défaut de disposition conventionnelle contraire, et selon l’article L.2312-17 du Code du travail à propos de :

« 1° Les orientations stratégiques de l’entreprise ;

2° La situation économique et financière de l’entreprise ;

3° La politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. »

Le CSE n’est pas la seule institution représentative des salariés dans l’entreprise ; et pour cause, les organisations syndicales ont également un rôle essentiel. Elles sont en charge de la négociation des accords collectifs d’entreprise.

L’article L.2242-1 du Code du travail dispose ainsi :

« Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur engage au moins une fois tous les quatre ans :

1° Une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ;

2° Une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie au travail. »

 

L’expertise : un recours réservé au CSE…

 

Le CSE peut décider de faire appel à un expert dans les cas prévus par le Code du travail 3.

Selon l’article L.2315-80 du Code du travail, le financement de l’expertise varie4, selon le contexte du recours, entre :

  • Une prise en charge à 100% par l’employeur ;
  • Une répartition de la prise en charge à 80% par l’employeur et 20% par le CSE sur son budget de fonctionnement ;
  • Une prise en charge à 100% par le CSE sur son budget de fonctionnement dans les autres cas non visés par les autres textes 5.

Les organisations syndicales, elles, ne peuvent donc pas faire appel à un tel expert dans le cadre des négociations.

Cependant, certaines dispositions autorisent le CSE à mandater un expert en vue d’apporter des informations aux organisations syndicales dans le cadre des négociations. Tel est le cas, par exemple, dans le cas d’une négociation portant sur un PSE6.

Par ailleurs, l’article L.2315-94 du Code du travail dispose que :

« Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat :

(…)

3° Dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle. »

 

 

… au bénéfice des délégués syndicaux négociant l’accord collectif en question !

 

La Chambre sociale, dans son arrêt du 14 avril 2021, fait une interprétation large du texte.

En effet, littéralement, l’on pourrait croire que le CSE d’une entreprise d’au moins 300 salariés ne peut faire appel à un expert que dans les conditions suivantes :

  • En l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, c’est à lui que revient le devoir de négocier ;
  • Il convient de décider du recours à l’expertise avant l’ouverture des négociations ;
  • Elle ne peut porter que sur la thématique spécifique de l’égalité professionnelle.

Selon l’article L.2312-80 1°, l’employeur supporte 100% des frais de l’expertise si le CSE ne dispose pas des informations suffisantes relatives à l’égalité professionnelle 7 ; à hauteur de 80% seulement dans les autres cas.

Dans l’affaire, l’employeur avait interprété de cette manière les dispositions, donc demandait l’annulation de la délibération désignant l’expert ; et arguait de la mise à disposition d’indicateurs chiffrés relatifs à l’égalité professionnelle, c’est-à-dire les informations nécessaires et pertinentes permettant la poursuite des négociations.

Ainsi, la Cour de cassation le rejoint sur deux points.

D’une part, seule la négociation à propos de l’égalité professionnelle offre la possibilité du recours à l’expertise. L’expert ne peut pas intervenir sur l’ensemble de la « négociation sur l’accord de la qualité de vie au travail incluant l’égalité professionnelle ». L’expert ne peut délivrer d’expertise qu’à propos des éléments intéressant directement l’égalité professionnelle.

D’autre part, si la BDES contient des indicateurs chiffrés relatifs à l’égalité professionnelle, l’employeur ne prendra en charge qu’à hauteur de 80% les frais d’expertise.

En revanche :

  • Elle déclare que le recours à l’expertise doit intervenir en temps utile à la négociation, peu important qu’elle ait déjà été engagée ;
  • Et ce, au bénéfice des organisations syndicales dans l’entreprise, négociatrices par le biais de leurs représentants. Le recours à l’expertise n’est pas réservée à l’hypothèse de modalités subsidiaires de négociations par le CSE !

 

Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE

 

  1. Chambre sociale, Cour de cassation, 14 avril 2021 ;
  2. Voir, pour l’exposé de ses attributions générales, l’article L.2312-8 du Code du travail ;
  3. Articles L.2315-78 et suivants du Code du travail ;
  4. Dispositions détaillées à l’article L.2315-80 du Code du travail ;
  5. Article L.2315-81 du Code du travail ;
  6. II, article L.2315-92 du Code du travail ;
  7. Indicateur relatif à l’égalité professionnelle prévu à l’article L.2312-18 du Code du travail.