L’obligation de neutralité de l’employeur en matière d’élections professionnelles

L’obligation de neutralité de l’employeur en matière d’élections professionnelles est, selon la Chambre sociale, un principe général du droit électoral. Sa violation entraîne donc la possibilité de demander l’annulation desdites élections. Cependant, la violation doit être établie par celui qui l’invoque. Elle le rappelle dans un arrêt du 18 mai 2022 1.

L’obligation générale de neutralité de l’employeur à l’égard des organisation syndicales

En droit des relations collectives, un principe bien connu est celui de la liberté syndicale 2.

Celle-ci a deux pendants :

  • la liberté syndicale collective : liberté d’organisation des syndicats dans toute entreprise, de constituer une section syndicale, d’agir par le biais de ses représentants (représentant de section ou délégué syndical) ;
  • la liberté syndicale individuelle : liberté pour chaque salarié d’adhérer à un syndicat, mais également de s’en retirer.

L’employeur est tenu à une obligation de neutralité à l’égard des organisations syndicales. A défaut, il s’agirait d’une entrave à la liberté syndicale.

Concrètement, l’employeur ne peut favoriser un syndicat plutôt qu’un autre ou, au contraire, agir au détriment de l’un d’entre eux. Il ne doit pas se charger de prélever les cotisations syndicales de ses salariés. Enfin, il lui est interdit de prendre des mesures restrictives de l’exercice du droit syndical.

Le droit présume toutes ces mesures abusives 3. Ainsi, l’employeur devra indemniser les personnes et/ou organisations syndicales visées par de telles mesures.

Enfin, l’appartenance ou l’activité syndicale d’un salarié est un motif discriminatoire figurant à l’article L.1132-1 du Code du travail.

 

Annulation des élections professionnelles pour violation de l’obligation de neutralité de l’employeur pendant les opérations électorales

La Cour de cassation considère, de longue date, l’obligation de neutralité de l’employeur pendant les élections comme un principe général du droit électoral 4. Par ailleurs est-il établi qu’une telle violation est de nature à entraîner l’annulation des élections, sans même avoir eu d’influence sur les résultats 5.

Ainsi, l’employeur viole son obligation de neutralité qui effectue de la propagande en faveur ou à l’encontre d’un candidat libre ou d’une liste. Il ne peut encore influencer cette propagande en accordant des moyens supplémentaires ou moindres à une organisation syndicale ou un candidat.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 mai 2022, le syndicat CFTC s’était vu refuser le dépôt de sa liste 16 minutes après l’heure limite de dépôt. Le syndicat FO avait pu la déposer à la même date sans qu’il existe un quelconque moyen de vérifier l’heure du dépôt. En effet, ce dernier avait eu lieu par remise en main propre.

Ainsi la CFTC avait-elle demandé l’annulation des élections pour violation de l’obligation de neutralité. Le tribunal avait annulé les élections, considérant :

  • qu’il était impossible de connaître l’heure du dépôt donc de savoir si l’employeur n’avait pas favorisé FO au détriment de la CFTC ;
  • que l’employeur n’avait pas rapporté la preuve du respect de son obligation de neutralité.

La Cour de cassation casse et annule le jugement rendu par le tribunal. Il n’appartenait pas à l’employeur de prouver le respect de son obligation. En effet, selon elle, le syndicat CFTC aurait dû prouver la violation, et non seulement la suspicion d’une violation.

Autrement dit, il convient de prouver une différence de traitement établie caractérisant l’absence de neutralité de l’employeur.

 

Distinction entre obligation de neutralité et principe de non-discrimination

Le régime de la preuve applicable en matière de discrimination n’est pas applicable en matière d’obligation de neutralité.

L’article L.1132-1 du Code du travail dispose du principe de non-discrimination. Il dresse une liste limitative des motifs discriminatoires, parmi lesquels l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale. Afin de prouver qu’une mesure est discriminatoire, le législateur a mis en place un régime spécifique 6 en faveur du salarié victime.

En effet, le salarié qui prétend avoir été victime de discrimination doit produire les éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. Il appartient à l’employeur de prouver que sa décision était motivée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination. Ce n’est donc pas à celui qui invoque la discrimination de prouver qu’elle est établie mais à l’employeur de prouver qu’elle n’existe pas. A défaut, on présume la mesure discriminatoire.

Le jugement annulé par la Chambre sociale semblait appliquer ce régime probatoire. Pourtant, il n’était ici pas question de discrimination.

La Cour considère simplement qu’il faut prouver une violation certaine de l’obligation de neutralité afin d’annuler des élections. En effet, ni l’article L.1132-1 ni l’article L.1134-1 ne vise la situation de discrimination d’une organisation syndicale. On ne peut les utiliser qu’en présence d’une mesure prise par l’employeur à l’encontre d’un individu dans une situation et pour un motif précis. Non à une décision de l’employeur en défaveur d’une organisation syndicale pendant l’organisation des élections professionnelles…

Ainsi, même si la violation de l’obligation de neutralité s’apparente à l’adoption d’une mesure discriminatoire à l’égard d’une organisation syndicale, l’inversement de la charge de la preuve ne lui est pas applicable. Lorsque le législateur instaure un tel régime de preuve, c’est précisément pour protéger une partie faible : le salarié. On ne considère pas le syndicat représentatif comme une partie faible de ce point de vue.

En revanche, si la situation avait concerné deux candidats libres adhérents à des syndicats différents, il aurait été opportun d’invoquer le principe de non-discrimination afin de faire annuler les élections 7.

 

Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE

 

  1. Chambre sociale, Cour de cassation, 18 mai 2022 pourvoi n°20-21.259
  2. Fondements de la liberté syndicale et de l’obligation de neutralité de l’employeur : articles L.2141-1 et suivants du Code du travail
  3. Article L.2141-8 du Code du travail
  4. Chambre sociale, Cour de cassation, 31 mai 2011 pourvoi n°10-60.228
  5. Chambre sociale, Cour de cassation, 28 mars 2012 pourvoi n°11-16.141
  6. Article L.1134-1 du Code du travail
  7. Le sort d’une mesure discriminatoire étant son annulation, article L.1132-4 du Code du travail