Nouvelle application du principe de concordance à la désignation des représentants du personnel

Le principe de concordance conduit à apprécier la représentativité des représentants du personnel pour une prérogative donnée dans le cadre où l’on appelle à la mise en œuvre de cette prérogative. Ainsi des statuts de société ne peuvent-ils pas attribuer au CSE de la société-mère le pouvoir de désigner les représentants du personnel membres du Conseil de surveillance dès lors qu’existe un Comité de groupe. 

Le contexte

Une société-mère (ou entreprise dominante) répondant aux critères de l’article L.225-79-2 I du Code de commerce doit faire entrer au Conseil de surveillance 2 membres représentants des salariés. Il s’agit alors d’une société qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, emploie :

  • au moins mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français ; ou
  • au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger.

Pour ce faire, il convient de modifier les statuts de la société et de choisir les modalités de leur désignation. Trois possibilités s’offrent à l’assemblée générale extraordinaire (hors présence d’une société européenne) :

  • l’organisation d’élections auprès des salariés de la société et de ses filiales en France ;
  • la désignation, selon le cas, par le comité de groupe, le comité central d’entreprise ou le CSE ;
  • la désignation par la ou les deux organisation(s) syndicale(s) ayant obtenu le plus de suffrages au premier tour des élections de la société et de ses filiales.

L’assemblée générale modifie donc les statuts de la société et choisit les modalités de désignation par le CSE de la société-mère. Ce dernier désigne alors deux de ses membres pour siéger au Conseil de sécurité.

 

La problématique

L’obligation de faire entrer deux représentants du personnel au sein du Conseil de surveillance d’une société est la conséquence de l’effectif du groupe dont elle est mère. C’est donc le nombre de salariés dans le groupe qui détermine l’obligation. Ainsi, les représentants du personnel sont-ils supposer représenter tous les salariés du groupe au Conseil de surveillance.

Or, dans une entreprise de cette taille, un Comité de groupe peut être constitué (article L.2331-1 du Code du travail).

Il se compose de représentants des salariés désignés parmi leurs pairs par les organisations syndicales et du chef de l’entreprise dominante (accompagné de deux personnes de son choix). Il n’a pas d’attributions consultatives mais reçoit des informations, sur toutes les sociétés du groupe ou le groupe, relatives à :

  • l’activité ;
  • la situation financière ;
  • l’évolution et les prévisions d’emploi annuelles ou pluriannuelles et actions éventuelles de prévention y afférentes ;
  • les perspectives économiques.

Dès lors qu’existe un tel comité, il représente tous les salariés du groupe.

C’est précisément ce qu’a voulu faire valoir l’organisation syndicale qui a demandé l’annulation de la désignation. Selon elle, c’était au Comité de groupe de désigner, parmi ses membres, les représentants en question.

 

La solution : application du principe de concordance

Concrètement, se pose la question de la légitimité du choix des personnes qui siègeront au Conseil de surveillance en tant que représentants des salariés. Autrement dit lesquels, des représentants des salariés de la société-mère ou des représentants des salariés du groupe, sont les plus légitimes à désigner les représentants des salariés au Conseil de surveillance de la société-mère ?

La question ne se poserait pas s’il n’existait pas de Comité de groupe. L’enjeu même dudit comité est de représenter la totalité des salariés du groupe au sein d’une même instance ; et le fait générateur de l’obligation de désigner des représentants pour siéger au Conseil de surveillance est le grand nombre de salariés. Il s’agit de représenter des salariés dont les situations sont différentes selon les sociétés dont ils sont issus.

En revanche, le CSE de l’entreprise dominante ne représente que les salariés de ladite société, non ceux des autres sociétés.

Ainsi, il revient logiquement à l’instance représentante de tous les collaborateurs de désigner les représentants salariés au Conseil de surveillance. Illogique serait la solution qui consisterait à réserver ce choix au seul CSE de la société-mère. Ce, quand bien même il s’agit de siéger au sein de son Conseil de surveillance.

C’est précisément ce que décide la Chambre sociale par sa décision en date du 23 novembre 2022. Par application du principe de concordance, le raisonnement tient en quatre temps :

  • l’obligation de désigner des représentants des salariés au Conseil de surveillance de la société-mère tient à la taille de l’effectif du groupe ;
  • le Comité de groupe représente précisément tout cet effectif ;
  • l’enjeu de la désignation est la représentation de tous les salariés compris dans l’effectif du groupe ;
  • il revient donc à l’instance représentative de tous ces salariés de désigner les membres qui siègeront au Conseil de surveillance.

En conclusion, la clause des statuts qui détermine le CSE de la société comme instance désignant les représentants est réputée non écrite. Il s’agira de modifier les statuts pour accorder ce pouvoir au Comité de groupe.

 

Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE