Cela fait longtemps que les accords d’entreprises peuvent déroger aux accords de branches

Réaffirmation du principe de primauté de l’accord d’entreprise sur la branche

Au cœur des polémiques autour de la loi Travail, la question de l’articulation des normes en droit du travail suscite de nombreuses difficultés nées de l’intense activité législative sur ce thème singulièrement sensible.

Si le principe de faveur reste fondamental en droit du travail, son champ d’application ne cesse de se restreindre au fil des réformes engagées depuis 2003. Il importe de rappeler que le principe de faveur vise à résoudre un conflit de normes en appliquant la règle la plus favorable au salarié.

Le droit de la durée du travail  se présente comme le laboratoire d’expérimentation de la primauté de l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche. Cette possibilité, ouverte depuis la loi du 17 janvier 2003 dite Fillon, étendue par celle du 4 mai 2004 et renforcée par la loi du 20 août 2008 est désormais quasi-intégralement consacrée par la loi du 8 août 2016, dite Travail.

L’arrêt du 1er mars 2017 rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation illustre l’effet de l’empilement des normes législatives sur la validité de l’accord d’entreprise dérogeant aux accords de branche.

En l’espèce, un accord de branche en date du 4 mai 2004 fixe le contingent annuel d’heures supplémentaires à 130 heures. Un accord d’entreprise en date du 19 avril 2011 relève le contingent annuel d’heures supplémentaires à 220 heures. Entre temps, des lois réaménagent les règles d’articulation entre ces normes.

Une organisation syndicale intente une action en justice en annulation dudit accord d’entreprise au motif que ce texte déroge de manière défavorable aux salariés à l’accord de branche.

Cette demande est accueillie favorablement par la Cour d’appel de Versailles qui prononce, au terme d’un arrêt en date du 3 novembre 2015, l’annulation de l’accord d’entreprise. La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 1er mars 2017 sanctionne cette décision au visa de l’article L3121-11 du Code du travail au motif que les accords d’entreprise peuvent déroger aux accords de branche, même dans un sens moins favorable aux salariés.  L’innocuité de l’accord de branche conclu antérieurement aux nouvelles dispositions est ainsi affirmée, donnant ainsi toute sa mesure à l’accord d’entreprise conclu en vertu des dispositions en vigueur.

Pour justifier leur décision, les juges versaillais relèvent :

  • D’une part, que la loi du 20 août 2008 subordonne la validité d’un accord d’entreprise qui déroge à un accord de branche à la dénonciation des accords antérieurs.En clair, le fait que l’accord de branche n’ait pas été dénoncé avant la conclusion de l’accord d’entreprise justifie son annulation.
  • D’autre part,  que si la loi du 4 mai 2004 autorise les accords d’entreprises de comporter des stipulations moins favorables aux salariés, c’est à la condition que les accords conclus antérieurement à son entrées en vigueur restent applicables. En outre, un accord d’entreprise même conclu après la loi du 4 mai 2004 ne pouvait déroger dans un sens moins favorable aux salariés en présence d’un accord de niveau supérieur conclu avant ladite loi.

Ce raisonnement est sanctionné par la Cour de cassation au visa de  l’article L.3121-11, alinéa 1 du code du travail  dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008.

Les juges du droit recherchent si les partenaires sociaux peuvent valablement déroger à un accord de branche antérieur aux lois nouvelles. Autrement dit, il est question de connaître le sort réservé à un accord d’entreprise pris entre deux lois, en présence d’un accord de branche conclu avant elles et toujours en vigueur après elles.

L’article visé priorise la fixation du contingent des heures supplémentaires par voie d’accord d’entreprise. La chambre sociale souligne que la date de conclusion de l’accord d’entreprise est indifférente. En vertu de cet article, l’accord de branche ne peut restreindre la faculté des partenaires sociaux  de déroger aux stipulations de la branche. Surtout, il n’est manifestement plus nécessaire de dénoncer les accords conclus antérieurement pour pouvoir y déroger.

L’impuissance de la branche à verrouiller ce sujet en particulier et la durée du travail en général renforce l’idée selon laquelle l’accélération du recul du principe de faveur est plus que jamais en marche. Cette question ne devrait plus a priori être soulevée puisque la loi du 8 août 2016 priorise d’office et sans ambiguïté l’accord d’entreprise pour la fixation du contingent d’heures supplémentaires, l’accord de branche n’étant applicable qu’à défaut.

 

 

Maria Daouki, juriste