L’employeur ne saurait être tenu d’exécuter un accord collectif au-delà de ses prescriptions
Dans le cadre d’un arrêt rendu le 20 janvier dernier
La Cour de cassation s’est prononcée concernant l’octroi d’une prime conventionnelle suite à un changement de classification, l’occasion pour nous de faire le point sur la nature juridique des conventions et accords collectifs de travail.
Dans l’affaire soumise à l’appréciation de la Haute Juridiction, il était question d’une salariée qui, suite à un changement de classification (niveau 4S) avait perdu le bénéficie d’une prime mensuelle.
Selon la convention collective applicable aux agents des organismes de sécurité sociale la prime litigieuse est attribuée aux agents qui cumulativement:
- Relèvent de la catégorie agent technique soit uniquement les salariés relevant des niveaux de classification 1 à 3 (ce qui n’était plus le cas de la salariée) ;
- Exercent des fonctions de contrôle.
Considérant que l’employeur devait continuer à lui verser sa prime malgré son changement de classification, la salariée saisissait le conseil de prud’hommes afin d’obtenir un rappel de prime.
Les juges du fond ont fait droit à la demande de la salariée relevant que bien que cette dernière ne relevait plus de la catégorie agent technique, elle continuait d’exercer des fonctions de contrôle. Se faisant, elle devait continuer à bénéficier de cette prime au motif que le critère déterminant à prendre en compte pour l’octroi de la prime était celui de « l’exercice effectif de la fonction de contrôle ». Les juges du fond refusaient l’application stricte de la convention collective.
Ȧ juste titre, la Cour de cassation a rejeté le raisonnement du Conseil des Prud’hommes en relevant que la convention collective fixait deux conditions cumulatives et que l’omission de l’une est contraire aux prescriptions de ladite convention ; rappelant ainsi, le caractère hybride des conventions et accords collectifs de travail.
En effet, il est communément admis que les conventions et accords collectifs de travail ont à la fois une nature réglementaire en ce sens que les règles y étant édictés s’imposent de plein droit aux salariés et à l’employeur sans qu’aucun acte intermédiaire ne doivent être pris.
La nature contractuelle des conventions et accords collectifs de travail renvoie quant à elle au principe de droit commun des contrats selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », ce qui implique que l’employeur est tenu d’appliquer les conventions selon les conditions y étant déterminées. Dans la négative, les salariés peuvent agir en justice pour obtenir l’exécution forcée du contrat ou des dommages et intérêts.
Ce principe a d’ailleurs été repris par le code du travail qui indique expressément que :
« Les organisations de salariés et les organisations ou groupements d’employeurs, ou les employeurs pris individuellement, liés par une convention ou un accord, sont tenus de ne rien faire qui soit de nature à en compromettre l’exécution loyale. Ils ne sont garants de cette exécution que dans la mesure déterminée par la convention ou l’accord »
Si théoriquement, ni le juge, ni l’employeur, ne peuvent revenir sur le contenu des conventions et accords collectifs de travail, l’interdiction des immixtions extérieures n’est toutefois pas absolue.
Ainsi, seules les conventions légalement formées s’imposent au juge.
Dès lors, si les parties au contrat sont libres d’assortir le versement de primes à des conditions, il ne reste que si la clause est irrégulière, (ex : une clause discriminatoire) elle ne s’imposera pas au juge qui pourra la neutraliser en la privant d’effet.
Il importe que selon les principes civilistes, lorsque la convention n’est pas claire ou qu’elle est imprécise, le juge est autorisé à interpréter la volonté des parties, et peut selon les cas, obliger l’employeur au-delà des stipulations express du contrat dès lors que cela découle des suites logiques de l’accord.
Or, et dans l’affaire, portée devant la Cour de cassation, les stipulations de la convention collective étaient claires et précises. En effet, la Convention collective précisait expressément que la prime litigieuse n’était versée qu’aux salariés remplissant les conditions cumulatives fixées. De facto, étant donné que la salariée ne remplissait plus les conditions lui permettant de bénéficier de la prime litigieuse, l’employeur ne pouvait être obligé au-delà des prescriptions de l’accord et ce, d’autant plus que la question de la légalité des conditions d’octroi de la prime n’a pas été discuté.
(Cass.soc., 29 janv.2020, n°18-25903)
Sandra Troudet, Juriste