Salarié lanceur d’alerte, le cadre général de protection est posé

Eight businessmen planning a strategy in business advancement Entrée en vigueur le 11 décembre 2016, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin II ») institue le régime juridique général définissant la protection du lanceur d’alerte.

 

Un décret à venir doit néanmoins en préciser les modalités d’application dans les entreprises de moins de 50 salariés ce qui diffère l’application de la loi les concernant.

 

Le lanceur d’alerte bénéficiaire de la protection au sens de la loi

La protection instituée l’est au bénéfice de :

  • la personne physique

(Sont donc exclues les personnes morales)

  • qui révèle ou signale, de manière désintéressée

(Ce qui exclu toute compensation passée, présente ou future, matérielle ou non, pour le lanceur d’alerte)

  • et de bonne foi

(Y fait donc obstacle toute intention de nuire mais également toute mauvaise foi, qui, comme précisé par la chambre sociale de la Cour de cassation – arrêt rendu le 7 février 2012, pourvoi n°10-18035, publié au bulletin en matière de harcèlement – est caractérisée par la connaissance de la fausseté des faits allégués par le salarié les dénonçant.)

  • un fait dont elle a personnellement connaissance et caractérisant,
    • un crime ou un délit,
    • une violation grave et manifeste,
    • d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France,
    • d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement,
    • ou constituant une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général

La protection du lanceur d’alerte

En matière de sanctions ou de discrimination :

En raison du signalement qu’elle a pu émettre en respect de la procédure prévue par la loi, une personne,

  • ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle,
  • et lorsqu’elle est salariée ne peut être sanctionnée, licenciée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte,
    • notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions,
    • de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat.

Tout acte ou disposition contrevenant à ces principes est nul en application de l’article L.1132-4 du Code du travail.

La rupture de son contrat de travail consécutive à l’alerte peut donner lieu à saisine de la formation de référé prud’homal.

De plus, le lanceur d’alerte bénéficie d’un régime aménagé en matière de preuve en cas de litige :

La présentation d’éléments au juge de faits permettant de présumer un signalement d’alerte dans le respect de la loi suffit à transférer la charge de la preuve sur l’employeur qui devra alors démontrer que des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié justifient sa décision.

Le magistrat formera sa conviction après avoir ordonné, si nécessaire, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En matière pénale :

Cette protection se change en une immunité pénale lorsque le lanceur d’alerte a, par son signalement, porté atteinte à un secret protégé par la loi si la divulgation est,

  • nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause,
  • et qu’elle intervient dans le respect des procédures prévues par la loi.

Notons que toute personne faisant obstacle de quelque manière que ce soit à la transmission d’un signalement aux personnes et organismes compétents encourt une peine d’1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.

Une plainte pour diffamation déposée à l’encontre d’un lanceur d’alerte donnant lieu au constat, par le magistrat saisi, que la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire, pourra entrainer une condamnation de l’auteur de la plainte à une amende civile pouvant aller jusqu’à 30 000€.

La sanction d’une alerte fallacieuse

Prévenant les abus, le législateur a prévu de lourdes conséquences au signalement émit de mauvaise foi, c’est-à-dire en ayant connaissance du caractère mensonger des faits dénoncés.

Dès lors, un tel signalement entraine la levée de la protection prévue par la loi.

Le prononcé de sanctions, pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave, voire pour faute lourde s’il celui-ci a agi avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise.

Il peut également être poursuivi, notamment pour dénonciation calomnieuse et encourir à ce titre des peines allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 226-10 du Code pénal).

Enfin, il engage sa responsabilité civile et peut être condamné à réparer le préjudice subi par la victime de cette infraction.

La procédure d’alerte

3 étapes sont définies par la loi :

  1. Le salarié signal les faits à son supérieur hiérarchique, direct ou indirect, à son employeur ou à un référent spécialement désigné à cet effet par l’employeur.
  2. Si ce destinataire n’a pas, dans un délai raisonnable, vérifié la recevabilité du signalement, le salarié peut s’adresser à l’autorité judiciaire, l’autorité administrative ou à l’ordre professionnel compétent.
  3. Enfin, à défaut de traitement de l’alerte par ces derniers dans les 3 mois suivant leur saisine, le salarié peut rendre les faits publics.

Attention, l’alerte pourra par exception être directement portée à la connaissance des autorités compétentes précitées (« 2. ») les faits lorsqu’ils caractérisent un danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles.

Le non respect de ces principes ne caractérise pas nécessairement ni la mauvaise foi du lanceur d’alerte ni n’entraine la levée de sa protection.

Une certaine souplesse est accordée notamment lorsque le supérieur hiérarchique de ce dernier est impliqué dans les faits dénoncés.

Ce dernier pourra s’adresser au référent plutôt qu’à ce supérieur (débats à l’Assemblée Nationale, 28 novembre 2016) et également agir directement par la voie extérieure à l’entreprise sans perdre la protection prévue par la loi (débats à l’Assemblée Nationale, 9 novembre 2016).

Le Défenseur des droits

Celui-ci peut être saisi à tout moment afin d’orienter le lanceur d’alerte vers l’organisme approprié.

Ce dernier est protégé et ne peut dès lors faire l’objet d’aucune mesure de rétorsion ou de représailles.

En revanche, le lanceur d’alerte ne pourra en aucun cas bénéficier d’une aide financière (la disposition prévoyant la possibilité d’octroi d’une avance sur frais de procédure et un éventuel secours financier temporaire ayant été invalidée par le Conseil Constitutionnel, décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016)

L’entreprise

La loi impose un certain nombre d’obligations aux entreprises d’au moins 50 salariés qui doivent :

  • Mettre en place des procédures appropriées de recueil des alertes émises par le membres du personnel comme par des collaborateurs extérieurs et occasionnels (dont les modalités précises feront l’objet d’un décret à venir);

(Notons que de telles procédures, lorsqu’elles impliquent l’obtention et le traitement de données à caractère personnel doivent faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL)

  • Assurer la confidentialité de l’identité des auteurs du signalement comme des personnes visées et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires de l’alerte, sauf à l’égard de l’autorité judiciaire.

(Notons qu’alors la divulgation d’éléments confidentiels en violation des principes exposés ci-dessus est passible d’une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende au surplus des éventuelles poursuites en responsabilité civile) ;

Au-delà, pour les entreprises d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires excède 100 millions d’€ (ou appartenant à une entreprise dont le siège est situé en France et réunissant ces conditions)

Adopter un programme anticorruption tel que présenté par la loi ayant en vue la prévention et la détection d’actes de corruption et de trafic d’influence commis en France comme à l’étranger.

(Ce programme devant notamment inclure,

l’insert dans le règlement intérieur – après consultation des IRP – d’un code de conduite définissant et illustrant les comportements à proscrire s’accompagnant de l’institution d’un régime de sanction disciplinaire en cas de violation,

ou encore la mise en place d’un dispositif de recueil des alertes émanant des salariés et de formation du personnel particulièrement exposé au risque de corruption et de trafic d’influence)

 Frédéric ROUGON, Juriste

Sources :