La refonte de la preuve en droit social
Lors d’une action en justice, l’enjeu principal réside dans la preuve des faits reprochés à son adversaire. Afin de préserver l’équité du procès et le droit à la preuve, des règles ont été instituées et sont affinées par les juges petit à petit.
L’acceptation de la preuve déloyale en droit social
Historiquement, la position de la Cour de cassation était claire : une preuve obtenue par un moyen déloyal était irrecevable lors d’une action en justice civile (donc devant la juridiction prud’homale).
Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement important.
Dans cette affaire, un employeur a licencié un salarié pour faute grave. Il rapporte la preuve de la faute par des enregistrements effectués lors de l’entretien préalable sans que le salarié en ait eu connaissance.
La Cour de cassation considère que le simple fait que la preuve soit rapportée par un procédé déloyal ou illicite ne permet pas de l’écarter des débats. Elle estime que « Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »
La preuve sera donc recevable si la preuve pouvait être rapportée par d’autres moyens et si l’atteinte au droit à la vie privée, par exemple, est proportionnée au but recherché.
Dans un arrêt du 14 février 2024, la Cour de cassation a réitéré sa position. Elle considère que la preuve par un enregistrement provenant d’une vidéosurveillance mise en place sans information préalable des salariés concernés ni consultation du CSE est recevable si elle est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et proportionnée au but recherché.
Enfin, dans une décision du 10 juillet 2024, la Cour de cassation applique le même raisonnement au salarié qui enregistre son employeur à son insu afin de prouver des faits de harcèlement.
La preuve par témoignages anonymisés
Dans un arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité de la preuve rapportée par des témoignages anonymisés.
Dans cette affaire, un salarié licencié pour faute grave a saisi le conseil de prud’homme. Afin de justifier le licenciement, l’employeur fournit en justice des témoignages anonymisés (les salariés refusant de témoigner autrement par peur de représailles).
La notion de témoignage anonymisé est importante. En effet, elle désigne un témoignage rendu anonyme à posteriori, mais dont l’identité de l’auteur est connue par la partie qui produit le témoignage.
En l’espèce, le témoignage avait été délivré à un huissier qui l’a ensuite anonymisé. L’employeur et les juges avaient connaissance de l’identité des témoins.
Il ne s’agit pas d’un témoignage anonyme, c’est-à-dire qui provient d’une personne dont personne ne connait l’identité.
La Cour de cassation estime que les témoignages de personnes dont l’identité n’est pas portée à la connaissance de celui auquel il est opposé peuvent être admissibles lorsque d’autres éléments sont produits afin de corroborer ces témoignages.
En l’absence d’éléments complémentaires, le témoignage sera recevable si sa production est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et que l’atteinte au procès équitable est strictement proportionnée au but poursuivi.
Cet arrêt admet donc, sous certaines conditions, la preuve rapportée par des témoignages anonymisés sans qu’ils soient obligatoirement corroborés par d’autres éléments de preuve.
Depuis plusieurs mois, la Cour de cassation semble avoir initié un mouvement de refonte de la recevabilité de la preuve en droit social. Les élus du CSE doivent rester attentifs à ces évolutions afin de pouvoir servir au mieux les intérêts des salariés. En cas de besoin, n’hésitez pas à nous contacter !