La place de la négociation collective dans le fonctionnement du CSE

L’heure du bilan – Le bilan annuel de la négociation collective édition 2019 dévoilé par la Direction Générale du Travail vient rappeler les enjeux de taille de la négociation collective sur le fonctionnement du CSE. Sur les 5 655 accords portant sur les Instances Représentatives du Personnel (IRP), 78% concernent la mise en place du CSE. Centrale en ce que la loi lui permet de tracer le fonctionnement du CSE la négociation collective n’en est pas moins cruciale en ce qu’elle fixe les moyens et rythme la vie de l’instance. Sa place est aussi aléatoire puisqu’elle dépend fortement de la qualité d’intervention des partenaires sociaux.

Le champ d’action de la négociation collective d’entreprise concernant le fonctionnement du CSE est extrêmement large depuis l’ordonnance spécialement dédiée au CSE (1) ayant désormais acquis valeur législative (2). La voie de la discussion entre partenaires sociaux en vue d’aboutir à un accord sur la mise en place du CSE est vivement recommandée par ladite ordonnance.

Contrairement à l’ancienne instance commune, permettant un dialogue social à la carte, uniquement sur la base d’un accord collectif regroupant selon les cas deux ou trois des IRP (3), le CSE doit impérativement être mis en place avant la date butoir par accord ou décision unilatérale. L’Instance commune devient ainsi la règle absolue et la séparation des instances n’est plus une option négociable par les partenaires sociaux (4).

Faut-il le rappeler, le CSE, est un « trois en un » qui regroupe le comité d’hygiène et de sécurité, les délégués du personnel et les membres du comité d’entreprise, sans pour autant les additionner. En ce qu’il atteint la logique de spécialisation des IRP, en ce qu’il fusionne les prérogatives de réclamations des délégués du personnel, les attributions économiques et sociales du comité d’entreprise et en ce qu’il fait perdre la personnalité morale au CHSCT, le CSE fait l’objet de vives critiques.

Depuis très longtemps, notre jeune droit du travail susciterait les craintes des entrepreneurs étrangers à s’implanter en France et comporterait des complexités et lourdeurs ralentissant le développement économique de l’entreprise auxquelles le législateur tente de remédier.

L’objectif de simplification et de rationalisation des IRP, tant dans leur fonctionnement que dans leurs attributions censées permettre de renouer avec une croissance durable, se cristallise autour du CSE. Non loin de réfuter cette assertion il convient de la relativiser puisque cet objectif ne sera pleinement atteint que si les modalités de fonctionnement du CSE sont négociées, permettant aux entreprises d’agir plus rapidement.

Quand tout ou presque devient négociable – Le principe directeur poursuivi par les ordonnances est de coller autant que faire se peut à la configuration d’un Parlement qui se limite à déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de de la sécurité sociale5 et qui laisse au gouvernement le soin d’édicter les mesures d’application de ces principes. Le législateur n’aurait plus notamment à devoir préciser la manière dont fonctionne le dialogue dans les entreprises. Généraliser la négociation d’entreprise part de l’idée selon laquelle les acteurs de l’entreprise sont les mieux placés pour choisir le cadre dans lequel ils évoluent.

Aujourd’hui, toutes les entreprises peuvent négocier y compris les plus petites par la voie de la consultation directe des salariés (6). À toute fin utile, il convient d’ores et déjà de préciser que nous limiterons nos propos aux entreprises dont l’effectif est supérieur à 50 salariés. En effet, l’étude du fonctionnement du CSE dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à 50 salariés ne présente que peu d’intérêt ici puisqu’il est calqué sur le fonctionnement des anciens délégués du personnel.

En tout état de cause, la mise en place des CSE semble singulièrement complexe et protéiforme. Complexe car les règles peuvent varier fortement d’une entreprise à une autre. En effet, comme nous le verrons, presque tout est devenu négociable en matière de représentation du personnel. Protéiforme car la liberté semble être priorisée par rapport à l’égalité. Il en va ainsi des attributions étendues du CSE, du choix des commissions supplétives, des informations de la BDES ou encore du budget.

Par ailleurs, précisons que l’employeur n’est plus tenu de consulter le CE – dispense reprise pour le CSE– depuis 2016 sur les projets d’accords collectif, aussi bien pour leur révision que leur dénonciation (7). Le poids de l’avis du CSE sur les accords collectifs demeure cantonné au suivi des effets de la négociation collective. Ainsi, le défaut de consultation ne peut être sanctionné que sur le fondement du délit d’entrave au fonctionnement du CSE et ne peut en aucun cas remettre en cause la validité des accords collectifs régulièrement conclus (8).

Le rapport au Président de la république introduisant l’ordonnance souligne que le CSE permettra « un dialogue social plus stratégique et plus concret et moins formel » ce qui cristallise la question autour de la place de la négociation collective dans la détermination du fonctionnement du CSE. Il est manifeste que le CSE est un nouvel instrument juridique conférant de nombreuses marges de manœuvres à la négociation collective. Ce faisant, nous nous attacherons à vérifier si l’adage selon lequel « La moins mauvaise loi est celles que les parties se forgent elles-mêmes » retenti sur le fonctionnement du CSE.

Innover pour avancer ? – La place de la négociation collective est ainsi déterminante, pour ne pas dire cruciale dans le fonctionnement du CSE. La loi offre des possibilités étendues de personnaliser le CSE par voie de la négociation collective mais encore faut-il que le CSE soit mis en place par un accord impliquant inéluctablement des concessions mutuelles. Ainsi, la place de la négociation collective tient au fait qu’en son absence, le CSE peut fonctionner au ralenti, voir même être sclérosé.

Les entreprises qui se limiteront à appliquer strictement la loi se verraient sans doute à terme désavantagées par rapport à celle qui auront exploité les potentialités offertes par la loi. En effet, tout ou presque est négociable dans le fonctionnement du CSE. Les concessions réciproques impliquant l’abandon des anciens schémas de fonctionnement des IRP sont susceptibles d’accroître les marges de manœuvre des organisations syndicales dans la négociation collective des conditions de travail. En ce qu’ils se répercutent sur le fonctionnement du CSE, nous nous intéresseront en prochainement au sort réservé aux accords collectifs conclus en méconnaissance des attributions du CSE.

(1) Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales

(2) Loi 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social

(3) La délégation unique du personnel permettait en effet la réunion au sein d’une instance commune des DP, du CE et du CHSCT (L2326-1) ou avant la loi du 17 août 2015 des DP et du CE.

(4 ) Art. L2311-2 et L2313-1 C.trav.

(5) Article 34 du préambule de la Constitution de 1958 dispose en effet que « La loi détermine les principes fondamentaux : […]- du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. »

(6) 13 200 accords soit près de 60% des accords ont été approuvés par ce biais en 2018

(7) Art. L2312-14 C.trav al 2 «Les projets d’accord collectif, leur révision ou leur dénonciation ne sont pas soumis à la consultation du comité »

(8) Cass. Soc. 5 mai 1998, n° 96-13.498 « le défaut de consultation du comité d’entreprise, qui peut être sanctionné par ailleurs selon les règles régissant le fonctionnement des comités d’entreprise, n’a pas pour effet d’entraîner la nullité ou l’inopposabilité d’un accord collectif d’entreprise conclu au mépris de ces dispositions et dont la validité et la force obligatoire demeurent soumises aux règles qui lui sont propres »

(9) Cass. soc. 18-9-2019 n° 17-31.274 «le défaut de consultation annuelle du comité d‘entreprise sur les décisions de l’employeur portant sur l’aménagement du temps de travail ou la durée du travail, exigée au titre des missions de cet organe concernant la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, qui peut être sanctionné selon les règles régissant le fonctionnement du comité d’entreprise, n’a pas pour effet d’entraîner l’inopposabilité de l’accord de modulation à l’ensemble des salariés de la société »

 

Maria Daouki