La mise en place d’un système de surveillance des salariés en entreprise

La mise en place d’un système de surveillance des salariés en entreprise

Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut contrôler l’activité de ses salariés via divers systèmes de surveillance. Ils peuvent prendre la forme de caméras, badgeuses ou encore de systèmes de géolocalisation. La mise en place de ces systèmes nécessite le respect d’un cadre légal strict que nous vous détaillons dans cet article.

Surveillance de l’activité des salariés et respect des libertés individuelles

Le lien de subordination découlant du contrat de travail va permettre à l’employeur de contrôler l’activité des salariés. L’exercice de ce droit de surveillance va, par principe, se heurter au respect des libertés individuelles des salariés et notamment au droit au respect de la vie privée des salariés.

En vertu de l’article L1121-1 du Code du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Ainsi, l’installation d’un système de surveillance doit obligatoirement être justifiée par la tâche effectuée par le salarié. Elle doit être liée aux spécificités de l’activité professionnelle du ou des salariés concernés. En cas de litige, le juge va donc apprécier la justification et la proportionnalité de la surveillance au travers du périmètre de surveillance et de sa fréquence. Une surveillance permanente des salariés ou un contrôle dans des endroits inadaptés sera considéré comme excessive.

Des caméras de vidéosurveillance ne doivent pas filmer les salariés sur leur poste de travail, sauf circonstances particulières (salariés manipulant de l’argent …)

Systèmes de surveillance des salariés et RGPD

En vertu du Règlement général sur la protection des données (RGPD), les données, images ou vidéos collectées doivent être utilisées uniquement pour les finalités déclarées et protégées contre tout accès non autorisé.

Depuis 2018 et l’instauration de la loi portant sur le RGPD, l’obligation de déclaration préalable d’un système de surveillance à la CNIL n’existe plus.

L’information préalable à l’intégration d’un système de surveillance

Avant toute mise en place d’un système de surveillance, l’employeur doit informer les salariés du dispositif instauré, de la finalité des informations recueillies, des dispositions relatives à l’accès aux données dans le cadre du RGPD.

En vertu de l’article L2312-38 du Code du travail, le CSE doit être consulté « préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. »

L’utilisation d’une preuve illicite lors d’une action en justice

Historiquement, la position de la Cour de cassation était claire : une preuve obtenue par un moyen déloyal était irrecevable lors d’une action en justice civile (donc devant la juridiction prud’homale).

Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement important.

Dans cette affaire, un employeur licencie un salarié pour faute grave. Il prouve la faute  par des enregistrements effectués lors de l’entretien préalable sans que le salarié en ait eu connaissance.

La Cour de cassation considère que le simple fait que la preuve soit rapportée par un procédé déloyal ou illicite ne permet pas de l’écarter des débats. Elle estime que « Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

La preuve sera donc recevable si la preuve pouvait être rapportée par d’autres moyens et si l’atteinte au droit à la vie privée, par exemple, est proportionnée au but recherché.

Dans un arrêt du 14 février 2024, la Cour de cassation a réitéré sa position. Elle considère que la preuve par un enregistrement provenant d’une vidéosurveillance mise en place sans information préalable des salariés concernés ni consultation du CSE est recevable si elle est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et proportionnée au but recherché.

Enfin, dans une décision du 10 juillet 2024, la Cour de cassation applique le même raisonnement au salarié qui enregistre son employeur à son insu afin de prouver des faits de harcèlement.

Comment le CSE peut réagir suite à ce revirement ?

Ces récentes décisions vont pousser les représentants du personnel à se montrer de plus en plus vigilants sur ces questions. En effet, dès lors qu’ils ont connaissance de la mise en place d’un système de surveillance mis en place sans respect des règles légales (information, dispositif non proportionné, non-respect du RGPD), ils pourront entreprendre une action contre leur employeur.

En l’absence de consultation du CSE avant la mise en place du système de surveillance :

Le CSE pourra agir en justice pour demander la suspension du projet jusqu’à la consultation du CSE. Une plainte pour délit d’entrave peut aussi être déposée.

  • En cas de dispositif portant atteinte aux libertés individuelles des salariés :

Le CSE dispose d’un droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles. En cas de mise en place d’un système de surveillance qui ne respecterait pas la vie privée des salariés, le CSE pourrait déclencher un droit d’alerte.

  • En cas d’atteinte à la vie privée des salariés via un dispositif de surveillance:

Un membre du CSE peut saisir l’employeur par tout moyen.

L’employeur doit alors procéder à une enquête avec le membre du CSE et prendre les mesures nécessaires pour y remédier.

Si l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires ou en cas de divergence sur celles-ci, le membre du CSE avertit le ou les salariés concernés qu’il envisage de saisir le conseil de prud’hommes.

Conclusion

Les évolutions jurisprudentielles récentes vont amener le CSE à être de plus en plus vigilant quant aux dispositifs de surveillance mis en place par l’employeur. En effet, en dénonçant un dispositif illégal, le CSE pourra mettre un terme à la pratique et donc l’employeur ne pourra obtenir la preuve qui aurait pu être recevable en justice, bien que déloyale. Les élus du personnel doivent donc se montrer particulièrement vigilants sur ces questions. En cas de besoin, n’hésitez pas à nous contacter !

 

Thomas Chevillotte, Juriste/Consultant expert CSE