L’inaptitude empêche le licenciement pour tout autre motif

La déclaration d’inaptitude mentionnant l’impossibilité de reclassement par le médecin du travail rend impossible toute rupture pour autre motif. L’employeur doit obligatoirement licencier le salarié pour inaptitude. Ce, quand bien même le salarié aurait commis une faute lourde justifiant un licenciement… La Chambre sociale le rappelle dans un arrêt du 8 février 2023.

Un salarié est placé en arrêt de travail en octobre 2016. Il est convoqué à un entretien préalable de licenciement en janvier 2017. Sa visite de reprise avec le médecin du travail a lieu le 6 février 2017. Elle conduit à un constat d’inaptitude avec mention expresse d’impossibilité de reclassement. Le 16 février, l’employeur licencie le salarié pour faute lourde.

 

Licenciement pour inaptitude : circonstances et conséquences

De toute visite d’un salarié auprès d’un médecin du travail peut résulter un constat d’inaptitude. Pour autant, le médecin doit avoir pu échanger avec l’employeur et le salarié, et ainsi constaté « qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible » ainsi « que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste » (article L.4624-4 du Code du travail).

Dans ce cas, l’employeur se voit soumis à une obligation de reclassement. Ce dernier ne peut donc licencier le salarié qu’après avoir justifié alternativement, selon l’article L.1226-2-1 :

  • d’une impossibilité de proposer un reclassement ;
  • du refus du salarié suite à la proposition de reclassement ;
  • de la mention expresse du médecin que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Le licenciement est alors décidé pour inaptitude, et peu important la nature de l’origine de l’inaptitude (professionnelle ou non), le salarié perçoit une indemnité de rupture à ce titre. Celle-ci est :

  • d’un montant au moins égal à l’indemnité légale de licenciement si d’origine non professionnelle (article L.1234-9 du Code du travail) ;
  • d’un montant au moins égal au double de ladite indemnité si d’origine professionnelle (article L.1226-14 du Code du travail). A celle-ci s’ajoute une indemnité compensatrice de préavis dans ce dernier cas.

En l’occurrence, le salarié aurait donc dû percevoir, à tout le moins, une indemnité de rupture. Cela n’a pourtant pas été le cas : en cause, le motif du licenciement invoqué par l’employeur.

 

Absence d’indemnité de licenciement en cas de licenciement pour faute lourde

L’employeur, dans les faits étudiés, licencie le salarié pour faute lourde.

La faute lourde, en droit du travail, est caractérisée par :

  1. un agissement d’une particulière gravité ;
  2. une intention de nuire à l’employeur ;
  3. l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise suite à sa commission.

Celle-ci justifie une procédure disciplinaire de licenciement. Ainsi, elle justifie la mise à pied conservatoire du salarié (afin de ne pas maintenir le salarié dans l’entreprise durant la procédure), l’entretien préalable de licenciement, la notification du licenciement, et l’absence de période de préavis. Le contrat de travail prend donc fin dès la notification.

Du fait de la gravité de la faute commise, le salarié n’a droit, ni à l’indemnité de licenciement, ni à l’indemnité compensatrice de préavis (article L.1234-9).

En l’espèce, l’employeur avait donc licencié le salarié sans lui verser une quelconque indemnité !

 

Impossibilité de licencier pour faute lourde suite à un constat d’inaptitude

Alors que la chronologie des faits pourait justifier le licenciement pour faute lourde et l’absence d’indemnisation du salarié, la solution de la Cour de cassation ne va pas dans ce sens. La Cour d’appel avait rejeté les demandes du salarié. Selon elle, l’inaptitude définitive ne prive pas l’employeur de la possibilité de se prévaloir de la faute lourde du salarié, antérieure au constat, pour le licencier.

Pourtant, quand bien même l’employeur aurait initié la procédure de licenciement avant la déclaration d’inaptitude avec impossibilité de reclassement, le caractère obligatoire des dispositions relatives à l’inaptitude et à ses conséquences empêche le licenciement pour tout autre motif. Ainsi convient-il d’appliquer strictement l’article L.1226-12 du Code du travail, selon lequel :

« L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi »

Ce texte exclut donc implicitement tout autre motif de licenciement dans le cas où une déclaration d’inaptitude existe.

Par conséquent, le constat d’inaptitude définitive lie l’employeur. Ce dernier ne peut donc licencier un salarié pour un autre motif, faute de quoi il manquerait aux dispositions strictement obligatoires en matière d’inaptitude. Enfin donc, l’employeur devait verser au salarié les indemnités correspondantes au titre de la rupture.

Non seulement la Cour maintient le caractère déterminant de la date de notification du licenciement, mais elle préserve également l’intérêt de la partie la plus faible : le salarié déclaré inapte.

Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE