Harcèlement, mode d’emploi des règles de preuve et de l’office du juge
Dans un arrêt particulièrement pédagogique rendu ce 8 juin, les juges de la Cour de cassation offrent un rappel des conditions entourant la charge de la preuve en matière de harcèlement (art. L.1154-1 du Code du travail) ainsi que l’office du juge dans la qualification du harcèlement moral.
Il appartient donc au juge saisi,
- d’examiner l’ensemble des éléments invoqués à l’appui de la demande du salarié, sans écarter les documents médicaux éventuellement produits ;
- d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du Code du travail ;
- et dans la positive, d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Ainsi, sous réserve de respecter ces conditions contrôlées par les juges de la haute juridiction, le juge appréciera, d’une part, souverainement si le salarié établit des faits permettant de présumer l’existence du harcèlement allégué et, d’autre part, si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Notons qu’il s’agit, depuis les arrêts rendus le 24 septembre 2008 par lesquels la Cour décidait de contrôler la qualification du harcèlement moral (Cass. soc. 24 septembre 2008 n°s 06-45.579, 06-45.747, 06-43.504, publiés au bulletin), de la première reconnaissance par les hauts magistrats d’un pouvoir souverain – de cette étendue – aux juges du fond en matière de harcèlement.
Jusque-là n’avait été fermement admise une telle compétence qu’en matière d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits par le salarié (notamment Cass. soc. 13 janvier 2016, n°14-10.599).
Il est nécessairement d’attendre des décisions de juges du fond sur la question ainsi que le contrôle par la Cour de cassation de celles-ci pour déterminer ce que certains auteurs voient comme un recul du contrôle exercé par la Cour.
Enfin, rappelons qu’un article de la dernière version du projet de loi « Travail » (commenté précédemment) prévoit l’alignement des règles de preuves du harcèlement sur celles applicables à la discrimination, permettant au salarié de se limiter à la présentation d’éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, et non plus d’établir des faits permettant de le présumer.
Frédéric ROUGON , Juriste
Sources :
– Cour de cassation, chambre sociale, 8 juin 2016, n° 14-13418 (publié au bulletin)
– Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs