Expertise CHSCT déclenchée avant l’entrée en vigueur de la loi Travail : même annulée, elle pèse sur l’employeur

15 mai 2013, la Cour de cassation adopte une jurisprudence relativement pragmatique (Cass. soc., n° 11-24.218, arrêt publié au bulletin de la Cour) conduisant à mettre à la charge de l’employeur le coût des travaux  de l’expertise CHSCT déjà réalisés, même postérieurement à l’annulation de la délibération de l’instance.

En effet, les hauts magistrats considèrent que, 

« (…) tenu de respecter un délai qui court de sa désignation, pour exécuter la mesure d’expertise, l’expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la cour d’appel se soit prononcée sur le recours formé contre une décision rejetant une demande d’annulation du recours à un expert, et alors, d’autre part, que l’expert ne dispose d’aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le comité qui l’a désigné, faute de budget pouvant permettre cette prise en charge ».

 

Cela s’explique, l’expert n’ayant autrement aucun recours pour obtenir paiement des prestations déjà effectuées, l’instance n’ayant pas de budget propre.

27 novembre 2015, par une décision (n° 2015-500 QPC) dont la portée ne laisse aucun doute, le Conseil Constitutionnel admet l’inconstitutionnalité des dispositions du premier alinéa et de la première phrase du second alinéa de l’article L.4614-13 du Code du travail. Néanmoins, en vue le maintien de la sécurité juridique de telles expertises alors en cours au jour de cette décision, le Conseil décide de maintenir ces dispositions jusqu’au 1er janvier 2017, laissant au législateur le temps de procéder à leur remplacement.

8 août 2016, la Loi Travail dont les dispositions entrent en vigueur au 10 août, procède alors au remplacement des parties inconstitutionnelles de l’article. L’expert dont la mission est annulée sera alors tenu de rembourser à l’employeur les sommes perçues (nouvel art. L.4614-13 du Code du travail). Sont, dès lors, à la charge de l’employeur, tous les frais de l’expertise CHSCT, sauf lorsque celui-ci en a obtenu l’annulation par décision juridictionnelle.

Quid de la jurisprudence de la Cour de cassation dégagée en 2013 et non remise en cause par le Conseil Constitutionnel ?

 

EN L’ESPECE,

Saisie d’une contestation élevée par un employeur, la Cour d’appel de Versailles tente alors de mener la Cour de cassation a abandonner sa jurisprudence telle qu’établie depuis 2013 sans attendre le 1er janvier 2017 en faisant valoir les arguments du premier tendant à considérer que le maintien d’une telle jurisprudence serait contraire aux dispositions de l’article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) et des libertés fondamentales, garantissant le droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable.

La Cour de cassation s’y refuse.

En effet, la Haute juridiction considère que si sa jurisprudence constitue effectivement une atteinte au droit de propriété de l’employeur et au droit à un recours effectif, cette atteinte est :

– Limitée dans le temps (les dispositions inconstitutionnelles survivant au plus tard jusqu’au 1er janvier 2017) ;

Et justifiée par la nécessité de protéger « la santé et la vie des salariés en raisons des risques liés à leur domaines d’activité professionnelle ou de leurs conditions matérielles de travail » (conformément aux articles 2 et 8 de la CESDH, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union Européenne). L’expert avait, selon la Haute Cour, droit au paiement des travaux qu’il avait déjà réalisé.

Est donc annulée l’arrêt d’appel déboutant l’expert de sa demande en paiement des honoraire dus à raison de l’expertise CHSCT diligentée sur la base d’une délibération annulée de l’instance.

 

En tout état de cause, il est à noter qu’une telle position de la Cour de cassation, si elle découle du décalage initié par le Conseil Constitutionnel, bienveillant à l’égard du législateur qui n’aura pas précisé de mesure transitoire concernant les affaires pendantes devant les juridictions au jour de l’entrée en vigueur de la Loi Travail, celle-ci ne devrait manifestement pas survivre pour l’intégralité des situations judiciaires relatives à une expertise CHSCT décidée après l’entrée en vigueur de ladite Loi et encore moins pour celles décidées après le 1er janvier 2017 puisque toutes soumises en principe à la nouvelle version de l’article L.4614-13 du Code du travail qui ne laisse que peu de doute sur les conséquences de l’annulation d’une délibération du CHSCT désignant un expert.

Rougon Frédéric, Juriste

Sources :