Élections professionnelles : la désignation des délégués syndicaux

De nombreuses entreprises organisent en ce moment leurs prochaines élections professionnelles, et seront alors désignés de nouveaux délégués syndicaux. Il convient de ne pas perdre de vue que l’enjeu ne tient pas qu’en l’élection des représentants du personnel, mais également à la mesure de l’audience des organisations syndicales dans l’entreprise. Celle-ci est l’une des conditions requises pour qu’une organisation syndicale soit reconnue comme représentative dans l’entreprise.

La présence d’une organisation syndicale peut se matérialiser par :

  • l’ouverture d’une section syndicale et la désignation d’un représentant de section syndicale (RSS) ;
  • l’ouverture d’une section syndicale et la désignation d’un délégué syndical (DS).

La loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 modifie les règles de désignation des délégués syndicaux. La Cour de cassation revient sur l’interprétation de l’article L.2143-3 du Code du travail tel qu’issu de cette loi dans un arrêt récent 1 ; l’occasion pour nous de revenir sur les règles régissant la représentativité et la désignation des DS.

Les élections professionnelles : outil pour la mesure de l’audience des OS

Pour rappel, les critères cumulatifs de la représentativité syndicale sont les suivants :

    • le respect des valeurs républicaines ;
    • l’indépendance à l’égard de l’employeur ;
    • la transparence financière ;
    • l’ancienneté minimale de 2 ans à compter du dépôt des statuts en mairie ;
    • l’audience minimale de 10% des suffrages exprimés au 1er tour des élections professionnelles ;
    • les effectifs d’adhérents et cotisations ;
    • l’influence : activité, expérience, implantation géographique et professionnelle.

On distingue les 3 premiers des 4 derniers. Effectivement, on apprécie individuellement et à tout moment les 3 premiers critères, la représentativité des OS pouvant être perdue à tout moment du cycle en cas de défaut. Quant aux autres, ils font l’objet d’une appréciation globale et à la date des élections, la remise en cause de l’un d’entre eux n’entraînant pas la remise en cause de la représentativité de l’OS.

L’enjeu des élections professionnelles réside donc, en la matière, dans la mesure de l’audience.

Mais comment ?

Au 1er tour des élections professionnelles, les organisations syndicales2 ont le monopole3 quant à l’établissement des listes électorales. Ce n’est qu’au 2nd tour, le cas échéant, que les autres salariés pourront faire valoir leur candidature sur une liste sans étiquette syndicale.

Le nombre de suffrages exprimés en faveur de chaque liste au 1er tour permet de mesurer l’audience des OS ayant présenté lesdites listes.

Ainsi, n’est représentative que l’OS ayant recueilli au moins 10% des suffrages valablement exprimés au 1er tour des élections professionnelles. Cela lui donne le droit de désigner un délégué syndical, selon des règles dont dispose l’article L.2143-3 du Code du travail.

 

Éclaircissement sur les règles de désignation du délégué syndical

Selon les faits de l’arrêt étudié, sur la liste présentée par l’OS, 21 candidats obtiennent plus de 10% des suffrages exprimés en leurs noms. Les 4 premiers sur la liste sont élus au CSE. L’OS décidé de désigner en qualité de DS des candidats n’ayant pas obtenu au moins 10% des suffrages exprimés. Il est alors question de l’application de l’article L.2143-3 du Code du travail tel qu’issu de la loi de ratification des ordonnances de 2017. La société demande l’annulation de ladite désignation.

Ledit article pose la règle de désignation du délégué syndical par l’OS représentative. Selon cette règle :

  • en principe, elle doit désigner un candidat de la liste qu’elle a établie aux élections professionnelles ayant recueilli à titre personnel et dans son collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections ;
  • cependant, à défaut de candidats de la liste réunissant ces conditions ou en cas de renonciation écrite de la part de « l’ensemble des élus qui remplissent les conditions » :
    • elle peut proposer le mandat à un candidat d’une autre liste les réunissant (il ne s’agit en aucun cas d’une obligation 4 et ni, donc, d’un préalable à la possibilité suivante) ;
    • elle peut désigner un autre candidat de la liste ou, à défaut :
      • un de ses adhérents salarié de l’entreprise ;
      • un de ses anciens élus ayant dépassé la durée limite d’exercice du mandat d’élu au CSE.

En l’occurrence, l’OS n’avait pas demandé de renonciation écrite aux candidats non élus remplissant la condition des 10% des suffrages exprimés. Au lieu de cela, elle avait désigné deux candidats n’ayant pas satisfait à cette condition. Or, à la lecture du texte de l’article L.2143-3 du Code du travail, telle n’est pas la règle. N’apparaît comme nécessaire que la renonciation de la part des candidats effectivement « élus »…

La Chambre sociale réitère sa position en la matière…

La Cour de cassation réitère alors une solution déjà connue. Ce n’est que « lorsque tous les élus ou tous les candidats qu’elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical » que l’OS peut décider de désigner un autre candidat, un adhérent ou un ancien élu. Pour ce faire, elle s’appuie sur les travaux préparatoires de la loi de mars 2018. Elle casse et annule alors le jugement déboutant la société de sa demande.

C’est donc seulement à défaut de candidats remplissant la condition des 10% ou en cas de renonciation par ces derniers, élus ou non, que l’OS peut désigner n’importe quel candidat de sa liste.

 

Fanny Jean, Juriste/Consultante experte CSE

  1. Chambre Sociale, arrêt du 28 septembre 2022
  2. Mentionnées aux alinéas 1 et 2 de l’article L.2314-5 du Code du travail
  3. Voir l’article L.2314-29 du Code du travail
  4. Chambre Sociale, arrêt du 8 juillet 2020