Absorption d’entreprise : doivent être consultés sur le règlement intérieur d’une entreprise d’accueil les élus de l’établissement absorbé demeuré distinct

Par un arrêt rendu le 20 mars 2017 (n°391226, dont l’importance le destine aux honneurs d’une publication au recueil Lebon), le Conseil d’Etat offre un éclairage inédit concernant la consultation des IRP sur le règlement intérieur d’une entreprise d’accueil et sa mise en œuvre auprès du personnel intégré après absorption d’un établissement.

 

Notons dès à présent que la solution apportée fait naitre de nombreuses questions que nous aborderons rapidement.

 

 

 

EN L’ESPECE,

Une entreprise avait saisi l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire d’un salarié ayant la qualité de membre du CHSCT, de délégué syndical, de délégué du personnel et de représentant syndical au comité d’entreprise.

La sanction prononcée par l’employeur, consécutive à l’organisation par le salarié d’un repas au sein d’un local de maintenance de l’entreprise pendant ses heures de travail, trouvait sa justification dans le manquement de celui-ci aux règles générales en matière d’hygiène et de sécurité ainsi qu’aux règles définies au sein du règlement intérieur de l’entreprise.

L’inspecteur du travail refuse alors d’autoriser le licenciement estimant :

–   que les faits reprochés n’étaient pas suffisamment graves pour justifier un licenciement (précisément au regard de l’ancienneté du salarié, de l’absence jusque-là de toute sanction disciplinaire prononcée à son égard et du fait que si de la nourriture avait effectivement été apportée dans les locaux par le salarié, ce dernier n’avait nullement ni introduit, ni consommé d’alcool) ;

–   et que le règlement intérieur de l’entreprise n’était pas opposable à ce salarié (rendant le texte impropre à fonder une sanction à son encontre), faute d’avoir été préalablement soumis aux IRP appropriés.

En effet, le salarié était employé au sein d’un atelier ayant été transféré en 2005 au sein de la société employeur.

Un jugement du tribunal d’instance avait constaté que l’atelier était demeuré un établissement distinct au sein de l’entreprise d’accueil concernant la désignation spécifique des délégués syndicaux et pour l’élection des délégués du personnel. Les mandats des IRP s’y trouvant déjà étaient consécutivement maintenus de plein droit.

 La juridiction administrative d’appel saisie par l’employeur, considérant les faits reprochés au salarié comme, au contraire, d’une gravité suffisante pour justifier la sanction, décide que le refus d’autorisation était entaché d’illégalité et l’annule.

 

Le Conseil d’Etat va non seulement sanctionner cette position en la cassant et soutenir celle tenue par l’inspecteur du travail mais également fortement perturber ce que d’aucuns pensaient établi en ce qui concerne le règlement intérieur d’une entreprise.

 

CONDITIONS D’APPLICATION D’UN REGLEMENT INTERIEUR AUX SALARIES

L’opposabilité d’un règlement intérieur aux salariés d’une entreprise dépend de son respect aux règles définies par le Code du travail et notamment à l’article L.1321-4 qui impose à l’employeur de le soumettre à l’avis du comité d’entreprise (ou, s’il n’en existe pas, aux délégués du personnel) et, pour les matières relevant de sa compétence, au CHSCT.

Si ces avis une fois rendus ne lient pas l’employeur, qui sera libre quoi qu’il en ressorte d’introduire le règlement intérieur relevant de son pouvoir de direction, cette formalité est substantielle :

Les salariés ne peuvent se voir reprocher un manquement à une des obligations que ce règlement énoncerait si la consultation n’a jamais eu lieu (Cass. soc., 9 mai 2012, n° 11-13687 ; ou encore Cass. soc., 11 février 2015, n° 13-16457, tous deux publiés au bulletin de la Haute Cour).

La problématique découlait ici du périmètre d’application du règlement intérieur qui, s’il émanait de la société ayant accueilli l’atelier absorbé ne pouvait pas s’y appliquer sans que les IRP de cet établissement considéré distinct n’aient pu rendre leur avis.

Le non respect de cette condition de consultation sur le règlement intérieur rendait alors impossible la sanction fondée sur le manquement aux obligations décrites par celui-ci.

 

SUR LA PORTEE DU REGLEMENT INTERIEUR D’UNE ENTREPRISE D’ACCUEIL

Un doute demeure sur le contenu du règlement intérieur de l’entreprise ici concernée.

Deux hypothèses apparaissent :

  • Soit les règles édictées ayant fondées la sanction étaient relatives à l’atelier lui-même (utilisation des locaux de l’atelier visé expressément,…) ;
  • Soit ces règles concernaient la totalité de l’entreprise.

 

Dans la première hypothèse, la position du Conseil d’Etat s’expliquerait peut-être par le fait que, s’appliquant directement et spécifiquement aux salariés de l’atelier, les règles édictées devaient être soumises aux représentant propres de celui-ci pour être opposables à ses salariés.

Dans ce cas, cette jurisprudence pourrait s’appliquer à toutes les entreprises qui, sans disposer d’établissement distinct au sens des comités d’entreprise, en ont plusieurs au sens des élections des délégués du personnel.

Dans la seconde hypothèse, il semblerait que le fait d’avoir conservé une représentation s’étant poursuivie à un niveau inférieur à l’entreprise dans un établissement distinct soit ce qui ait entrainé pour l’employeur l’obligation de soumettre le règlement à ce niveau de représentation. Les salariés auraient alors comme seuls représentants légitimes les délégués du personnel dont le mandat était maintenu.

Dans ce cas, il est possible que seuls les établissements absorbés mais demeurés distincts, dans lesquels jamais les salariés n’ont pu prendre part aux élections des membres du comité d’entreprise du fait du maintien des mandats de leurs représentants propres soient concernés.

 

Relevons enfin, même si la question n’était pas celle posée au Conseil d’Etat, la question de la pérennité d’un règlement intérieur en cas de transfert d’entreprise.

Si l’entreprise ne voit changer que l’identité de l’employeur sans autre modification de son activité ou du nombre de ces salariés, le règlement intérieur devrait continuer de s’appliquer et le nouvel employeur devrait être libre de le modifier.

En revanche, si le transfert donne lieu à l’absorption de l’entreprise dont l’effectif viendrait se mêler à celui de l’entreprise d’accueil disposant elle aussi d’un règlement intérieur, tout porte à croire que son règlement intérieur devrait disparaitre.

On voit, en effet, difficilement comment appliquer deux règlements différents au sein d’une même communauté de travail.

 

En présence d’un tel flou, il ne peut qu’être conseillé dans les cas de transfert d’activité que soient associés le plus rapidement possible l’intégralité des salariés concernés et, évidemment, leurs représentants (précisément lorsque le mandat de ces derniers sont maintenus) afin de s’entendre sur les conséquences attendues par tous et pour tous de ce changement d’employeur.

Frédéric Rougon, Juriste

Sources :