Regards sur les ordonnances Macron

Le volet dialogue social des ordonnances Macron

Alors que les inquiétudes de certaines organisations syndicales se cristallisent autour du contenu des ordonnances de M. Macron, le projet de loi d’habilitation du 29 juin 2017 confère à l’exécutif des pouvoirs étendus pour définir les réformes envisagées.

À l’heure où la digestion des textes adoptés par la législature sortante est loin d’être achevée, le Gouvernement annonce six grandes réformes sociales qui devraient être engagées d’ici 2019. Elles viseraient à faire souffler un vent de modernité sur notre droit du travail vieillissant, inadapté à un monde à géométrie variable tout en protégeant les salariés.

Plus précisément, l’exposé des motifs de la loi vise à  « rendre les relations de travail plus prévisibles et plus sereines et de sécuriser les nouveaux modes de travail pour redonner confiances à tous, salariés comme employeurs », ce qui ne manque pas d’interpeller le lecteur sur la généralité de ces termes.

L’atmosphère des frénésies aoûtiennes des lois Macron, Rebsamen ou encore El Khomri adoptées au cours des deux étés derniers ravive la sensation de déjà vu chez les praticiens.

Qui s’interrogent aussi sur l’utilité profonde de ces réformes, sur leur capacité à répondre aux mutations du travail de demain.

S’adapter aux métamorphoses du travail, où la notion de temps et lieu de travail s’estompe au gré des évolutions technologiques et érige la flexibilité au rang du miroir de la qualité de vie, où la remise en question de la subordination invite le manager sous pression à être avant tout leader.

La feuille de route communiquée aux partenaires sociaux pose les bases des 48 discussions d’ici la publication des ordonnances promises.

Le projet de loi d’habilitation sur les mesures visant à renforcer le dialogue social jette les grandes lignes des ordonnances dont le contenu semble intensifier les réformes déjà engagées en des termes obscurs.

Si «il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante », regardons un peu celle avec laquelle le Gouvernement entend toucher au dispositif-jumeau-actuel pour « rénover notre modèle social » mais surtout renforcer le dialogue social :

Surenchérir sur l’arme de négociation massive d’entreprise

Articulation des normes conventionnelles-La négociation devrait être réalisée au plus près du terrain au niveau de l’entreprise, l’article 1er de la loi d’habilitation fixant comme but de « définir une nouvelle articulation de l’accord d’entreprise et de l’accord de branche et à élargir de façon sécurisée le champ de la négociation collective ».

Mais c’est déjà le cas. Faut-il rappeler que le droit de la négociation collective et de la durée du travail ont connu de profonds bouleversements ces deux dernières décennies placés sous le signe d’un recul des pouvoirs de la branche. Le législateur s’attache, singulièrement depuis la loi du 4 mai 2004 à conférer à l’accord d’entreprise une place proéminente à coup d’extension des possibilités de dérogations à la branche et de mécanisme de supplétivité.

Primauté de la branche- En l’état actuel des textes, six thèmes relèvent exclusivement des pouvoirs de la branche, qui peut verrouiller, c’est-à-dire interdire aux partenaires sociaux au niveau de l’entreprise de déroger  à ses stipulations encadrant les salaires minimaux, les classifications, les garanties collectives de prévoyance, la mutualisation des fonds de la formation professionnelle, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la prévention de la pénibilité. Concrètement, cela signifie que les accords d’entreprises ne peuvent comporter de stipulations moins favorables que la branche dans ces domaines.

Primauté de l’accord d’entreprise- D’un autre côté, les lois du 20 août 2008 et du 8 août 2016 offrent la possibilité aux partenaires sociaux d’entreprises de prévoir de stipulations qui ne s’appliquent qu’à titre supplétif. En clair, ce n’est que lorsque l’accord d’entreprise ne traite pas d’un sujet désigné que l’accord de branche s’applique. Ce qui veut dire que ces lois permettent aux partenaires sociaux de fixer leur propre règle sur certains aspects de la durée du travail et des congés. Autrement dit, cela fait longtemps que les accords d’entreprises peuvent s’émanciper de la branche sur des sujets particulièrement nerveux.

Sur quoi va-t-on négocier maintenant ?-Si le mécanisme d’articulation des normes collectives qui se dessine est le même qu’en l’état actuel du droit, il semble se différencier par une intensité singulière.

La clarification du rôle attribué à chaque niveau de négociation semble propice à une simplification : il ne s’agirait plus de comparer des accords et conventions collectifs pour savoir lequel s’applique, il suffirait d’identifier le thème pour connaître le texte-accords d’entreprise ou de branche-qui trouve à s’appliquer.  Dans ce cas, il importe peu que l’accord d’entreprise soit moins favorable que la branche.

Il ressort des premières rencontres bilatérales que les domaines qui relèvent exclusivement de la branche soient, à l’exception de la pénibilité, les mêmes que ceux qui sont actuellement listés par l’article L.2253-3 du Code du travail. 

L’objectif adjacent semble également éloigner le juge de relations nées du travail, puisque la négociation confère une légitimité certaines aux parties prenantes.  Les intentions visent ainsi à favoriser la conciliation tout en désengorgeant les juridictions.

Derrière cette simplification, la complexification du rôle de l’inspecteur du travail se devine aisément : celui-ci devra notamment connaître du bout des doigts les singularités des règles spécifiques applicables à chaque entreprise.  Sans compter le risque croissant d’atteinte à la volonté individuelle des parties prenantes : le contrat de travail dont on sait que le principe prétorien selon lequel un accord collectif ne peut modifier un contrat de travail est en perte de vitesse au regard de la loi.

Et mon contrat de travail alors ?  Aujourd’hui, cinq type d’accords peuvent interférer dans un contrat de travail au nom de la sauvegarde des intérêts de l’entreprise et de l’emploi : les accords de maintien d’emploi, de réduction du temps de travail, de mobilité, de développement et de préservation de l’emploi et d’aménagement du temps de travail. 

En clair, lorsque ce type d’accord est conclu, le salarié peut toujours refuser la modification adjacente mais s’expose à un licenciement dont le régime est pratiquement le même que le licenciement individuel, à la nuance qu’il existe des dispositifs d’accompagnement dans ce cas.

Le Gouvernement actuel ambitionne d’inciter, de faciliter le recours à ce type d’accord lorsque la situation l’oblige tout en aménageant les règles de rupture du contrat de travail dans le cas d’un refus d’application.

L’idée serait d’encourager davantage la négociation collective.

Consolider une culture commune du dialogue social à l’intérieur de l’entreprise

Faible taux de syndicalisation- La France fait partie des cinq pays européens où les salariés sont les moins syndicalisés. Dans le secteur privé, le taux de syndicalisation est de 11% contre 20% dans le secteur public. Selon Dares, en Europe, le taux de syndicalisation oscille ainsi entre 10% relevé dans l’Europe centrale et de l’Est est à 70% dans les pays nordiques.

Contrairement à une idée reçue, l’Allemagne, l’Espagne ou encore la France font partie des pays à la plus faible syndicalisation.  La France figure parmi les pays les moins intéressés par le syndicalisme.

Rappelons-nous que la législature sortante s’est attachée à assortir ses réformes visant à conférer une place centrale à la négociation d’entreprise de plusieurs dispositifs pour développer une culture de la négociation collective. Faciliter l’accès aux accords via une base de données nationale, assouplir les conditions de révision, de dénonciation mais aussi renforcer les droits des délégués syndicaux sont au cœur des réformes engagées précédemment.

Dans cette droit lignée, le Gouvernement actuel entend favoriser l’engagement syndical, notamment avec le renforcement de la place des chèques syndicaux-pratique existante depuis longtemps au sein des grandes entreprises- et de valorisation des parcours syndicaux.

Flash des autres mesures

Antidote au chômage-Le Code du travail comporterait ainsi le remède au chômage. La confiance des employeurs serait rétablie une fois ces derniers rassurés par la  possibilité d’établir leurs règles, toujours plus étendues dans les murs de leur entreprise ou encore sur le coût des licenciements les moins graves. La ministre du travail assure que le contrat de travail, dernier rempart à la force de la volonté collective, ne serait pas atteint par les réformes ambitionnées.

Nouveau Code pour de nouveaux emplois ?- La commission d’expert instituée par la loi Travail devait remettre ses travaux durant l’été 2018 pour parachever la construction d’un Code du travail à trois étages dont la négociation collective est le pilier. Finalement, cette commission d’expert ne sera pas instituée. A l’heure où nous écrivons, l’intégralité du chapitre relatif à la durée du travail est déjà réécrite sous le tryptique ordre public/ordre conventionnel et dispositions supplétives en l’absence d’accord.

Fixer un prix aux licenciements injustifiés mais les moins graves : il s’agit de sécuriser les entrepreneurs, les entreprises en offrant une prévisibilité des licenciements sans cause réelle et sérieuse. Si cette mesure existe déjà, elle est fournie à titre indicatif. Rappelons que le référentiel indicatif des indemnités dues en cas de licenciement injustifié a été  publié l’hiver dernier : le référentiel indicatif prévu par la loi Macron, qui pourra être utilisé par le juge prud’homal pour déterminer le montant de l’indemnisation du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce barème deviendrait impératif. Concrètement, il ne s’appliquerait que dans les cas les moins graves des licenciements : par exemple et pour faire simple, lorsque la lettre de licenciement comporte des lacunes de forme qui revient pour l’employeur à être condamné pour défaut de motivation de licenciement. Les cas de licenciement discriminatoires ou de harcèlement ou résultant ainsi d’une faute grave de l’employeur sont exclus du barème.

L’instance commune devient la règle- Les institutions représentatives du personnel séparées l’exception. Autrement dit, les TPE-PME qui peuvent depuis 1993 fusionner leur instance sans passer par un accord, pourront continuer de le faire même lorsqu’elles atteindront le seuil fixé aujourd’hui à 300 salariés. Les entreprises qui relèvent de ce seuil, sont à l’heure actuelle tenues de conclure un accord majoritaire pour fusionner les instances. Rappelons que cet accord peut prévoir des configurations différentes suivant l’organisation de l’entreprise, avec des IRP à la carte dans les établissements.

Avec les ordonnances Macron, la logique serait inversée :  il faudra un accord pour que les instances représentatives du personnel soient maintenues séparément.

Un temps pour tout-Le nouveau locataire de l’Élysée démarre son mandat sous de très bons auspices, sans doute même les meilleurs recensés depuis dix ans. Selon l’Insee, ce sont 200 000 postes qui ont été crées ces douze derniers mois et plus de 50 000 salariés qui ont rejoint les entreprises privées au premier trimestre 2017.

Quelle que soit l’origine de ces nouvelles réconfortantes en ces temps incertains, elles invitent à prendre le temps de mesurer l’efficacité de telle ou telle mesure, appréciation que seul le temps peut apporter. 

Il y a trente ans, les organisations patronales assuraient pouvoir créer 367 000 nouveaux emplois contre la suppression de l’autorisation administrative requise pour les licenciements économiques. La loi du 3 juillet 1986,  faisait de ce vœux une réalité mais lesdits emplois n’ont pas vu le jour. 

« Et si on arrêtait alors de produire des textes ? Six mois ? Un an ? Que se passerait il en fait ? Sommes-nous si certains que les relations sociales en pâtiraient ou que le pays irait moins bien ? Qu’est ce que cela changerait vraiment dans la vraie vie ? Serions-nous moins heureux ? Y aurait-il plus de violence ? D’insécurité sociale ? De pauvreté ? De chômage ? » M. Verkindt, Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne invite ainsi à la réflexion sur les boulimies législatives, en particulier dans le domaine social et attire ainsi  notre attention sur la nécessité de mesurer les effets d’une loi avant d’en engager une autre.

Nous reviendrons en détail et précisément une fois le contenu des ordonnances fixé. Les premières prescriptions ont promises pour fin septembre 2017.

 

Maria Daouki, juriste