Non rétroactivité de l’annulation d’un accord collectif sur la mise en place des IRP

A l’accoutumée, un accord collectif annulé est réputé n’avoir jamais existé. Les conséquences de cette règle, qui exigent que les parties soient remises dans l’état antérieur à l’entrée en vigueur de l’accord sanctionné, peuvent être graves, particulièrement quand cette annulation intervient longtemps après que l’accord ait commencé à produire ses effets.

 

 

L’article 4 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 (ordonnance « Macron ») prévoit qu’ « en cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’un accord ou d’une convention collective, s’il lui apparaît que l’effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produit et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement » (article L. 2262-15 du Code du travail).

Remarque :

Le Conseil constitutionnel et la CJUE font souvent usage de la modulation des effets de la décision dans le temps à l’inverse de la Cour de cassation. La codification de ce principe a donc été jugée utile « dans un souci d’intelligibilité de la norme et des marges d’appréciation laissées au juge », à notre sens, dorénavant la Haute Cour y recourra plus fréquemment.

Ainsi, la Haute juridiction, le 6 juin 2018, apporte une exception supplémentaire à cette règle de rétroactivité en posant le principe selon lequel l’annulation d’un accord portant sur la mise en place des IRP n’a pas d’effet rétroactif. Autrement dit, les mesures relatives à l’instance représentative du personnel décidées dans l’accord collectif, avant le prononcé de son annulation, ne sont pas remises en cause.

Après la parution des ordonnances Macron et la création du CSE, l’accord collectif prend un poids important dans la mise en place de l’instance, de nombreuses dispositions seront fixées par accord collectif (périmètres des établissements distincts, commission santé et sécurité, représentants de proximité, attributions du CSE, etc).

En application au CSE, l’annulation d’un accord sur sa mise en place n’aurait pas d’effet sur les élections et les prises de décision prises par l’instance. La Chambre sociale est prévenante en visant les futurs accords sur la mise en place du CSE afin de les sécuriser en vue d’un éventuel contentieux.

Notons qu’en l’occurrence et c’est là tout l’intérêt de l’arrêt ici présenté, la Cour de cassation profite de l’espèce qui lui est soumise pour dégager le principe selon lequel « la nullité d’un accord collectif relatif à la mise en place d’institutions représentatives du personnel n’a pas d’effet rétroactif », (alors même qu’il ne s’agit alors pas ici de trancher sur le sort d’un accord collectif, mais sur un accord conclu avec un CHSCT).

L’annulation de l’accord conclu entre l’instance et l’employeur n’ayant été prononcée que 5 ans après son entrée en vigueur, l’élection des membres du CHSCT intervenue en 2015 ne devait pas être remise en cause.

Analyse

Notons que les faits à l’origine de l’arrêt rendent la portée de la solution difficile à cerner au-delà du cas d’espèce. On peut s’interroger sur le choix de l’arrêt de la Cour de cassation pour poser un tel principe. Ce qui est attaqué, en l’espèce, c’est un accord entre CHSCT ne constituant pas un accord collectif.

Aujourd’hui, la Cour de cassation se limite aux accords collectifs de mise en place des instances représentatives, d’autres thématiques seront sûrement envisagées dans l’avenir.

Les hauts magistrats se placent ainsi dans la droite lignée de leur jurisprudence, emprunte de pragmatisme quant à l’impact que générerait une remise en cause totale des élections des représentants du personnel. En effet, l’annulation de l’élection des membres du CE n’a pas d’effet rétroactif, de sorte qu’elle est sans incidence sur la désignation des délégués syndicaux (Cass. soc., 11 mai 2016, n° 15-60.171). De même, l’annulation des élections des délégués du personnel ne prive pas les candidats de la protection dévolue aux représentants du personnel (Cass. soc., 11 mai 1999, n° 97-40.765).

Bien que cette solution soit rendue à propos d’un CHSCT, elle conserve, à notre sens, tout son intérêt s’agissant du nouveau Comité Social et Économique.

En attendant d’autres décisions, l’absence d’effet rétroactif de l’annulation d’un accord collectif sur la mise en place et le fonctionnement du CSE serait un gage de sécurité juridique.

 

Lilas LAHMIDANI, Juriste

Sources :

Cour de cassation, Chambre sociale, 6 juin 2018, n°17-21.068

Cour de cassation, Chambre sociale, 11 mai 2016, n°15-60.171

Cour de Cassation, Chambre sociale, 11 mai 1999, n°97-40.765