L’étendue du contrôle de la licéité des différences de traitement

Ou quand le juge refuse d’ordonner la production de pièces

Le principe jurisprudentiel « à travail égal, salaire égal » connaît bien entendu de nombreuses exceptions.

Quand un salarié estime que son employeur le traite différemment des autres salariés sans raison valable, alors le juge recherchera, dans une certaine limite, si cette différence est légale ou pas.

Parfois, il peut refuser d’accéder à la demande de production de document tendant à établir une supposée discrimination.  

Le refus d’ordonner la production de pièces justifié par l’absence de travail de valeur égale-Lorsque le juge considère que le travail n’a pas la même valeur, n’est pas comparable, alors le salarié ne peut pas obtenir de l’employeur des pièces, comme les contrats de travail, un tableau récapitulatif des augmentations individuelles classées par coefficient, âge, sexe, ancienneté  ou encore les fiches de paie, même anonymisées des autres salariés avec lequel il se compare pour prouver que la différence de traitement résulte d’une discrimination.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 juin 2017 souligne ce point et vient rappeler le caractère souverain de l’appréciation des juridictions du fond en matière d’égalité de traitement et d’absence de discrimination.

Entre chefs de service- Dans cette affaire, une salariée titulaire d’un mandat syndical au sein d’un célèbre journal politique considère exécuter un travail de valeur égal de cinq autres salariés du même journal.

Elle est chef d’un service « études politique » au sein duquel elle travaille seule tandis que les cinq autres salariés sont rédacteurs en chef et encadrent plusieurs collaborateurs.  

Elle reproche à son employeur de n’avoir fait évolué de manière significative sa rémunération durant plusieurs années et de l’avoir écarté des augmentations individuelles périodique évoquées devant le comité d’entreprise.

Elle introduit une action devant le juge des référés pour obtenir les pièces tendant à prouver l’existence d’une discrimination à son égard.

La salariée est déboutée de ses demandes par la Cour d’appel de Paris en juin 2016 qui a considérée que le juge des référés est incompétent pour ordonner la communication des pièces demandées par la salariée.

Pour motiver leur décision et rejeter la demande des pièces sollicitées, les juges du fond ont retenu que la salariée :

  • N’exécute pas les mêmes fonctions que les autres salariés avec lesquels elle se comparait
  • Ne reproche pas à son employeur une discrimination dans le déroulement de sa carrière

Considérant que la Cour d’appel devait ordonner la communication des pièces pour mieux apprécier l’étendue de la différence de traitement entre la salariée et ses collègues, cette dernière forme un pourvoi en cassation.

Entre chef de service mais avec des fonctions différentes-La Haute juridiction conforte la décision de la Cour d’appel en rappelant que seuls les juges du fond sont à même d’apprécier la légitimité d’une demande pièces pour statuer sur la licéité d’une différence de traitement. Autrement dit, le fait que la Cour d’appel ait relevé que la salariée n’exécutait pas un travail de valeur égale des autres collaborateurs, sur la base des éléments établis, était suffisant pour écarter la demande de production de pièces.  En clair, le contrôle par les juges de la réalité et la pertinence des fonctions exercées par chaque collaborateur ne permettait pas à la salariée de se comparer à ces derniers.

A travail égal, salaire égal… et  mêmes responsabilités- La solution rendue en appel et confortée par la Haute juridiction peut paraître prévisible.

En effet, cette solution n’est pas sans nous rappeler celle rendue par la Chambre sociale le 7 juin 2006 et qui posait un faisceau d’indice pour déterminer si une différence de rémunération repose sur des éléments objectifs ou non :

Le coefficient, la classification, la qualification, l’ancienneté, les connaissances professionnelles ou encore les diplômes, l’expérience et les responsabilités figurent parmi les éléments permettant de savoir si une différence de rémunération entre salariés placés dans la même situation est licite ou non.

En l’espèce, si la salariée était bien responsable de service, elle n’était pas responsable d’autres salariés, comme l’étaient les collaborateurs avec lesquels elle s’est comparé.

Au cas par cas-Il importe de souligner enfin, que la comparaison pertinente entre collègue ne peut se faire que individu par individu.

A partir du moment où la différence repose sur des raisons objectives et matériellement vérifiables, l’employeur est parfaitement libre de différencier les rémunérations. Par exemple, deux salariés peuvent avoir le même poste, avec une ancienneté ou expérience quasi-identique et percevoir une rémunération différente.

Et ce, même pour des salariés qui exercent des fonctions comparables.  L’employeur peut justifier la différence de traitement par les performances ou encore le comportement de ces deux salariés. Le contrôle de cette justification relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

 

CS, 15 juin 2017, n° 13.839

Maria Daouki, juriste