Les mesures sociales des ordonnances travail en situation de crise sanitaire

Volet congés payés et durée du travail

Le 25 mars dernier, le Gouvernement a acté d’une série d’ordonnances en matière de droit du travail pour faire face à l’épidémie du Covid-19. Nous décryptons aujourd’hui les mesures fixée par ordonnance couvrant le sujet des congés payés et de la durée du travail ;

Sur les modalités de prise des congés payés :

En pratique, les aménagements apportés par cette ordonnance n’apportent pas de changements bouleversants la matière : un accord collectif de travail est un préalable requis pour déroger sur les modalités de prise de congés payés.

En synthèse, l’ordonnance prévoit les mesures suivantes :

–          Les partenaires sociaux doivent se mettre d’accord pour déterminer les conditions dans lesquelles l’employeur peut imposer la prise de six jours de congés fractionnés, ou non fractionnés, aux salariés durant la crise sanitaire ;

–          L’accord peut prévoir l’abaissement du délai de prévenance de la prise de jours de congés payés imposés à un jour franc – au lieu de 1 mois en période normale –

Sur la faculté unilatérale de l’employeur de mobiliser le compte épargne temps des salariés

Là encore, l’employeur étant tenu de demander aux salariés de prendre leur jour de repos ou jour au titre de la réduction du temps de travail avant le 31 mai de l’année en cours, le changement apporté par l’ordonnance vise le délai de prévenance :

–          L’employeur dispose, comme avant, toujours de la faculté d’imposer les jours de repos acquis des salariés ;

–          L’employeur peut s’affranchir du délai de prévenance habituel en observant, cette fois, un délai d’un jour franc.

Sur les dérogations en matière de droit de la durée du travail

Les entreprises qui relèvent de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale peuvent appliquer les dispositions suivantes en matière de durée du travail : 

–          Les salariés peuvent désormais travailler jusqu’à 12 heures par jour au maximum ;

–          Les salariés peuvent voir leur durée de repos consécutif quotidien abaissée à 9 heures, avec le bénéfice de repos compensateur ;

–          Les salariés peuvent travailler jusqu’à 60 heures par semaine ;

–          Le jour de repos le dimanche peut être pris un autre jour dans la semaine et par roulement.

Par ailleurs, ces mesures prévues par ordonnances sont l’occasion de rappeler l’état du droit du travail qui reste en vigueur en matière de prise de congés payés. Cet état de crise sanitaire sans précédent qui nous occupe soulève des questions sur l’application du droit en vigueur et les éventuels conflits de normes susceptibles de s’en dégager.

Rappel des modalités de prises de congés en vigueur :

L’employeur peut en cas de circonstances exceptionnelles, modifier les dates de congés déjà posés à condition :

                1) D’en informer les salariés au moins un mois avant la date prévue de départ en congé sauf délai de prévenance plus court prévu par un accord collectif (Art. L3141-16 du Code du travail) d’une part ;

                2) Que l’objet des congés payés à savoir permettre aux salariés de bénéficier d’une période de détente et de repos (CJUE, 21 Juin 2012, affaire C78/71) soit respecté d’autre part.

L’arrêt précité consacre ainsi l’indifférence du moment de survenance de l’incapacité de travail en soulignant que ce moment serait « aléatoire et contraire à la finalité du droit au congé annuel payé » pour accorder ledit droit au salarié seulement à la condition que celui-ci soit déjà en situation d’incapacité de travail lorsque la période de congé annuel payé a débuté ».  

La situation et l’étendue de l’actuel confinement étant sans précédent, peut-on considérer que les salariés sont en incapacité de travail en raison de l’épidémie Covid-19 ? La réponse est bien entendu incertaine à l’heure où nous rédigeons ces lignes, le problème n’affluant pas encore sur les bureaux des juges.

Par ailleurs, il importe de souligner ici que l’article 7-1, de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 s’interprète en ce qu’il interdit à ce que des dispositions nationales  prévoient qu’un salarié en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé ne dispose pas du droit de bénéficier plus tard dudit congés annuel.

Dans l’arrêt du 21 juin 2012 susvisé, la Cour rappelle une jurisprudence constante selon laquelle le droit au congé annuel payé de chaque salarié constitue un principe du droit social de l’Union qui revêt une importance singulière auquel il ne peut être dérogé. Mais surtout, les autorités nationales compétentes sont tenues de mettre en œuvre le principe du droit aux congés payés dans les limites fixées par la directive n° 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993 qui couvre certains volets de l’aménagement du temps de travail, codifiée par la directive n° 2003/88 précitée.

La problématique actuelle est d’autant plus saillante que la Cour persiste en soulignant que l’objet et la finalité du droit au congé annuel payé est de se reposer et de disposer d’une période de détente et loisirs. Ce qui constitue une finalité bien différente de celle de prévenir une épidémie de Covid-19 par la nécessité d’observer un confinement strict tel qu’édicté par le Gouvernement.

Au niveau national, précisons à toutes fins utiles que la Cour de cassation consacre un droit au report des congés payés non pris en raison d’une incapacité de travail survenue avant la période de congé (CS, 24 février 2009)
Les autorités nationales sont ainsi tenues de prendre en compte la cause initiale de suspension du contrat de travail qui revêt, selon les juges luxembourgeois, un droit « aléatoire et contraire à la finalité du droit au congé annuel payé ». Si le droit social européen renforce les droits des salariés français en matière de congés payés, il n’en reste pas moins que les questions sociales s’inscrivent dans un état  de crise sanitaire sans précédent. Affaire à suivre donc.

                   3) Que la durée du congé pris en une seule fois n’excède pas 24 jours ouvrables (Art. L3141-17 du Code du travail) :

La 5ème semaine de congés payés est donc exclue. Aussi parait-il important de préciser qu’il convient de vérifier les dispositions conventionnelles applicables au cas pas cas.

Ainsi comme il a été dit précédemment, dès lors que l’aléa pouvant empêcher le salarié de bénéficier d’une période de détente effective est prévisible, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires propres à préserver le droit des salariés au bénéfice des congés payés. À titre exceptionnel, dans le cadre du Covid 19, il semblerait qu’il puisse être dérogé au point n°2, sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond. Autrement dit, il ne paraît pas impossible que l’employeur puisse imposer des congés payés lors du Covid-19 même si cela ne permet pas au salarié de bénéficier d’un temps de détente et de repos au sens du droit social européen. Les potentiels contentieux viendront peut être éclaircir ce point.

 

Maria Daouki