Harcèlement sexuel : il suffit d’une fois ?

Vers une meilleure reconnaissance du harcèlement sexuel

Sur un panel de près de 14 700 salariés de grandes entreprises,  80% de femmes déclarent essuyer des attitudes ou décisions sexistes (Sources :  Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle, 2013).

Pour 20% des ces salariées, les gestes ou propos à connotation sexuelles sont monnaie courante.

Pourtant, les plaintes restent aussi rares que les condamnations : selon le Ministère de la justice, le chiffre de 1 050 plaintes pour « propos et comportement sexiste » enregistré en 2015 reste stable.

L’arsenal législatif visant à prévenir et à sanctionner ces agissements a connu des évolutions considérables.

Le sexisme ordinaire illustré par des blagues vaseuses et des remarques machistes est ainsi entré dans la définition donnée par le Code du travail du harcèlement sexuel.

La difficulté pour les victimes d’établir  un harcèlement sexuel résidait notamment dans celui de prouver la pluralité des faits reprochés.

En effet,  il ressort d’une jurisprudence constante ces dix dernières années qu’un harcèlement sexuel suppose que les gestes et comportements reprochés soient répétés au regard de la définition de ce délit.

Dans un arrêt du 17 mai 2017 publié au bulletin, la Cour de cassation apporte des éclairages et de précieuses concernant la définition du harcèlement sexuel et les sanctions encourues aussi bien par l’auteur des faits que par l’employeur.

Il s’agit de la première fois à notre connaissance où les Hauts magistrats formulent expressément qu’un acte unique peut caractériser le harcèlement sexuel.

Le fait unique élusif de la qualification de harcèlement sexuel ?  

Dans cette affaire dont les faits remontent à 2004,  une salariée s’est plainte  de « coup de soleil ».

Elle rapportait la preuve que son employeur lui avait « conseillé » de « dormir avec lui dans sa chambre », « ce qui lui permettrait de lui faire du bien ».  

L’intéressée démissionne puis intente une action pour que ce comportement soit qualifié d’harcèlement sexuel et obtenir ainsi la réparation des préjudices découlant de ce grief.

En appel, les juges rejettent ces demandes en soulignant qu’un fait unique, en l’espèce, le « conseil » de sont employeur, ne peut pas constituer un harcèlement sexuel puisque les agissements n’ont pas répétés.

En résumé de cette décision, la seule option restante à la salariée était de se retourner contre l’auteur des faits.

Ce qui veut dire qu’elle ne pouvait pas prétendre à obtenir de l’employeur des dommages et intérêts pour le manquement à l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur.   

La salarié forme un pourvoi pour faire casser cette décision et obtenir ainsi réparation des dommages causés par ce qu’elle considère relever du harcèlement sexuel.

Le fait unique susceptible de caractériser le harcèlement sexuel

La définition du harcèlement sexuel  telle que posée par l’article L.1153-1 du Code du travail suppose soit la répétition d’actes à connotation sexuelle, soit un fait unique procédant d’une pression d’une gravité particulière, même non répétée.

Pour aller à l’essentiel, le fait unique ne pouvait être retenu que si un chantage à l’acte sexuel était établi.  

C’est sur la version applicable dudit article au moment des faits (L.122-4) que les Hauts magistrats sanctionnent le raisonnement des magistrats du fond. La Haute juridiction interprète ledit article de manière extensive et énonce de manière inédite qu’un comportement unique entre dans le champ de la définition du harcèlement sexuel, ce qui n’est pas sans rappeler l’esprit européens des textes encadrant les discriminations faites aux femmes notamment.

En effet, la directive 2006/54 du 5 juillet 2006 portant sur la mise en œuvre principe de l’égalité des chances et de traitement entre les femmes et les homme ne pose pas comme conditions que les faits soient pluriels pour  relever de la qualification de harcèlement sexuel.

Si cette l’application de l’article L.1153-1 du Code du travail peut paraître sévère aux regards des faits établis et reprochés-des propos à connotation sexuelle tenus une seule fois sans chantage-,  elle est parfaitement conforme à la lettre du texte national et à l’esprit du texte européen.

La Cour de cassation va plus loin en reconnaissant aussi que la victime d’un tel harcèlement peut prétendre à une réparation intégrale du dommage subi.   

La réparation de ce fait unique doit être intégrale

En appel, les demandes de la salariée tendant à obtenir des dommages-intérêts de son employeur à la fois pour le préjudice physique et moral que de la violation de l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur ont été rejetées.

La encore, la Cour de cassation corrige cette position  avec deux articles du Code du travail  : L1153-1 et L.1153-5 . Le premier  pose l’interdiction du harcèlement sexuel tandis que le second impose à l’employeur de prévenir et de mettre un terme aux agissements répréhensibles.

Sans faire directement référence à l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur, les juges du droit considèrent, sur ce fondement que les préjudices découlant du harcèlement sexuel doivent faire l’objet d’une « double » réparation.

Ce qui signifie que l’employeur est tout autant responsable que l’auteur du fait générateur de dommages.  

En conséquence, la victime de harcèlement sexuel peut aussi bien prétendre à des dommages et intérêts au titre du préjudice subi qu’à une réparation sur le fondement du manquement à l’obligation de prévention des agissement de harcèlement pesant sur l’employeur.

Il est intéressant de relever que les juges du fond identifient de nouvelles formes de harcèlement, tel que le harcèlement sexuel environnemental ou d’ambiance.

Ce sujet brûlant reste complexe à cerner, tant qu’il n’est pas soulevé explicitement au sein de l’entreprise, des associations ou encore des organisations syndicales.

Les acteurs économiques à s’emparer de l’insidieuse question de la prévention restent discrets mais ceux qui s’y attèlent le font de manière efficace : les 360 affiches placardées à l’initiative de la métropole de Strasbourg sur lesquelles ont pouvait lire des phrases bien machiste telles que  « T’as un beau décolleté ma grande ! »  dans 13 lieux de travail ont suscité trois types de réactions : ceux qui étaient en colère de se sentir injustement visés, celles qui reprochaient à ces affiches de les positionner en victime et enfin celles qui se sentaient soulagées que le sujet silencieux du sexisme ordinaire soit enfin explicitement évoqué.

Le débat en droit paraît ainsi plus aisément soluble qu’en société.

Source : CS, 17 mai 2017, n°15-19.300

Maria Daouki, juriste